Préambule
La science nous permettra-t-elle un jour de tout savoir? Ne rêve-t-elle pas d'une formule qui explique tout? N'y aurait-il rien qui entrave sa marche triomphale? Le monde deviendra-t-il transparent à l'intelligence humaine? Tout mystère pourra-il être à jamais dissipé?
Hervé Zwirn pense qu'il n'en n'est rien.La science, en même temps qu'elle progresse à pas de géant marque elle même ses limites. C'est ce que montre la découverte des propositions indécidables qui ont suivi le théorème de Gödel. Ou celle des propriétés surprenantes du chaos déterministe. Ou encore les paradoxes de la théorie quantique qui ont opposé Einstein et Bohr en mettant en cause toute notre manière de penser.
L'analyse de ces limites que la science découvre à sa propre connaissance conduit à poser une question plus profonde: qu'est ce que le réel?
(Je voudrais ici faire partager ma lecture de Hervé Zwirn).
Ce cinquième article conclura cette série d'articles de présentation du monde quantique avant d'aborder plus précisément les questions plus philosophiques sur les limites et contre-limites de la connaissance et sur les doutes sur la réalité (que croire?). Un article intermédiaire sur le chaos quantique (sujet plutôt difficile) servira de transition.
A) Article précédent, résumé:
6-3) ébauche d'analyse des implications ontologiques. théories à variables cachées, non-séparabilité et le problème de la mesure.
Principales étapes de l'article.
1) Ebauche d'analyse des implications ontologiques.
a) Le caractère abstrait du formalisme quantique est déroutant.
Le caractère abstrait du formalisme quantique est déroutant.
b) Signification de ces propriétés:
A) Disparition de la correspondance directe entre état et propriétés.
B) Indéterminisme.
C) Interférence des amplitudes de probabilité.
2) Les théories à variables cachées et la non-séparabilité.
b) Le paradoxe EPR.
c) la réponse de Bohr.
d) Les théories à variables cachées.
e) Le verdict expérimental: les inégalités de Bell.
3) Résumé et conclusions.
Toute théorie reproduisant les prédictions de la mécanique quantique doit donc être non locale et contextualiste.
B) Contenu de cet article qui est la suite du précédent article 6-3 (ébauche des implications ontologiques et théories à variables cachées). Il est donc recommandé de lire ce précédent article 6-3 avant de prendre connaissance du présent article.
Le problème de la mesure et les théories à variables cachées.
a) position du problème.
biréfringence (calcite) |
La mesure d'une observable (ou d'un ensemble complet d'observables qui commutent) permet de connaître précisément l'état dans lequel est le système. En général, comme il n'est pas dans le même état avant et après la mesure, il est impossible de mesurer une grandeur sans perturber le système (sauf si celui-ci est déjà dans un état propre de l'observable mesurée). Quand on connaît avec précision la valeur d'une observable, la valeur des observables qui ne commutent pas avec elle n'est pas définie.
En l'absence de mesure, l'état du système évolue de manière déterministe selon l'équation de Schrödinger: (ih/2 π) d l Ψ>/dt = Hl Ψ >. La résolution de cette équation permet de déterminer l'état |ψ(t)> du système à tout instant t dès qu'on connaît l'état |ψ(t0)> à l'instant initial t0 et qu'aucune n'est effectuée sur le système entre t et to. En général, l'évolution décrite par l'équation de Schrödinger est différente de celle décrite par le principe de réduction du paquet d'ondes. Il n'est à priori pas gênant que coexistent les deux principes de prédiction, car les conditions d'application de l'un et de l'autre semblent bien spécifiées. L'un s'applique quand le système évolue alors qu'aucune mesure n'est effectuée et l'autre s'applique dès qu'une mesure est faite. Mais cela suppose que le concept de mesure soit parfaitement clair et bien défini, mais il se trouve qu'il est très difficile de définir de manière non ambiguë ce qu'est une mesure: (extrait du livre) "On peut voir que tel n'est pas le cas. Pour cela, considérons un système S sur lequel on fait une mesure à l'aide d'un appareil A. Deux points de vue apparemment équivalents sont possibles pour décrire cette mesure : On peut interpréter cette difficulté comme permettant de douter du choix qu'il convient de faire entre les deux processus d'évolution.
a) Si l'on s'intéresse à l'état ES du système S, le principe de réduction du paquet d'ondes prescrit comment celui-ci peut évoluer après la mesure. Supposons que la mesure a lieu à l'instant t. Si avant la mesure, l'état est ES(i), celui-ci deviendra après la mesure ES(f1) ou ES(f2) (plusieurs résultats de mesure sont possibles.
b) Considérons le grand système S constitué du système S et de l'appareil A. La mécanique quantique nous apprend que si ES est l'état du système S et EA l'état de l'appareil A, l'état du système S sera SS = ES EA. Avant l'instant t, cet état sera donc ES(i) EA(i). Le système S n'est lui soumis à aucune mesure. Son état évolue donc conformément à l'équation de Schrödinger et il est possible de le calculer après l'instant t. on peut montrer que le calcul par l'équation de Schrödinger ne permettra jamais de retrouver pour S un résultat identique ni à ES(f1) ni à ES(f2). Les deux points de vue, qui semblent aussi légitimes l'un que l'autre, conduisent à des prédictions irréconciliables. Le premier point de vue aboutit à considérer qu'après la mesure le système S est dans un état où la grandeur mesurée possède une valeur définie. Dans le deuxième point de vue, l'état final du grand système S est un état superposé où l'appareil A et le système S sont « enchevêtrés » La valeur de la grandeur physique n'est pas définie. L'apparente contradiction entre les deux principes d'évolution est ce qu'on appelle le problème de la mesure".
Analyse: La mesure sur un système quantique S fait toujours intervenir un appareil de mesure A, par exemple un appareil de Stern et Gerlach lors d'une mesure de spin. Le système S va interagir avec A. Considérons le système constitué par un électron dans un état de spin suivant Oz superposé: ψe = [ a|+>z +b|->z] et faisons une mesure avec un appareil de Stern et Gerlach convenable A. Deux descriptions sont possibles.
La première est de considérer qu'on fait une mesure sur l'électron S dans l'état initial ψe grâce à l'appareil A. Appliquons le principe de réduction du paquet d'ondes: après la mesure, S sera dans un des deux états possibles |+>z ou |->z et l'appareil A dans un état correspondant à un impact de l'électron sur l'écran en haut | si l'état de l'électron est |+>z et en bas si l'état de l'électron est |->z]. L'état de l'appareil est donc un état macroscopique défini, corrélé à l'état de l'électron après la mesure.
La deuxième consiste à faire le raisonnement suivant: L'appareil A est lui-même un système physique décrit par la mécanique quantique. Soit ψa l'état de l'appareil avant la mesure. Avant l'interaction entre A et S, le système composé de l'électron S et de l'appareil de mesure A est dans l'état quantique ψaψe, produit des états initiaux de l'électron et de l'appareil. Or ce grand système S + A n'est lui, soumis à aucune mesure. Son évolution est donc régie par l'équation de Schrödinger appliquée au vecteur d'état |ψaψe>. Les deux descriptions sont aussi légitimes l'une que l'autre, on devrait donc s'attendre à ce qu'elles aboutissent au même résultat concernant les évolutions de S et de A. Ce serait possible si l'évolution de (S + A) était telle qu'on puisse en extraire après l'interaction entre S et A un état pour S qui soit identique à celui qu'on obtient en appliquant le principe de réduction à S seul, et que l'état de A soit l'état corrélé correspondant. Or, il n'en n'est rien! L'évolution par l'équation de Schrödinger ne permet jamais de transformer un état superposé pour S en état réduit comme le fait le principe de réduction du paquet d'ondes, ni d'être dans un état macroscopique défini pour l'appareil de mesure. L'évolution à partir de l'état ψaψe aboutit à l'état ψAe final = a|+>z + b|->z . Cet état est appelé état "enchevêtré" car les 2 sous-systèmes sont liés de manière non factorisable (S et A forment un système indivisible dont l'état est superposé. L'ensemble (système + appareil) forme un tout indivisible qui est dans un état superposé. Si on s'intéresse seulement à l'appareil, il est dans un état correspondant à une superposition d'impacts en haut et en bas. C'est cette difficulté qu'on appelle problème de la mesure.
b) Qu'est ce qu'une mesure?.
C'est uniquement lors d'une mesure que les grandeurs physiques d'un système acquièrent définie. Pour Bohr, les grandeurs physiques comme la position, l'impulsion ou le spin suivant un axe, d'une particule ne sont pas des grandeurs appartenant au système en propre, mais elles doivent être considérées comme attachées à la fois au système et à l'appareil de mesure. Mais savons nous toujours dire si nous faisons une mesure sur un système ou pas?
Comme le fait remarquer Bohr, dès lors qu'une mesure est faite, un appareil macroscopique intervient et il faut appliquer le principe de réduction du paquet d'ondes. Cette attitude est pragmatiquement correcte car elle donne toujours le bon résultat. Mais elle n'est pas satisfaisante sur le plan conceptuel pour deux raisons:
a) la mécanique quantique s'applique en droit à l'appareil de mesure même si celui-ci est macroscopique. Le fait que nous savons que nous effectuons une mesure ne devrait pas entre en ligne de compte. Or la prédiction n'est pas la bonne puisque elle ne prédit pas que l'appareil et le système sont dans des états non superposés après la mesure. b) Si on interprète cette position comme voulant dire qu'il y a mesure dès lors qu'il y a interaction, alors on se heurte à deux problèmes. D'une part, la frontière entre microscopique et macroscopique n'est pas marquée de manière nette et que penser de phénomènes comme la superconductivité? et d'autre part, l'exemple de la polarisation de la lumière et de la biréfringence par un cristal de calcite, montre est une interaction macroscopique qui n'est pas une mesure (page 207 "les limites de la connaissance de H. Zwirn).
Dans le cas de la biréfringence, le photon interagit avec le cristal de calcite qui est un objet macroscopique et pourtant cela n'est pas suffisant pour qu'une mesure de polarisation soit effective. La mesure n'intervient que si l'on complète le dispositif par un détecteur qui permet de connaître effectivement par quel canal le photon est sorti.
c) Le rôle de la conscience.
Dans l'exemple précédent, le système quantique est constitué du photon et l'appareil de mesure est un cristal de calcite auquel sont ajoutés deux détecteurs permettant de savoir par quel canal est sorti le photon. On peut appliquer le principe de réduction du paquet d'ondes au photon; il nous dit que le photon sera après passage à travers l'appareil dans un état défini de polarisation H (horizontal) ou V (vertical). Mais, si on adopte le point de vue selon lequel le grand système S + A (photon + appareil de mesure) n'est soumis à aucune mesure ,l'application de l'équation de Schrödinger au grand système conduit à un état enchevêtré entre un état de polarisation superposé du photon et un état de l'appareil où chaque détecteur est dans un état "déclenché/non-déclenché". Les points de vue mènent à des conclusions divergentes.
L'aspect paradoxal du problème est porté à son comble dans la fameuse expérience du chat de Schrödinger. Erwin Schrödinger a imaginé une expérience dans laquelle un chat est enfermé dans une boîte fermée avec un dispositif qui tue l'animal dès qu'il détecte la désintégration d'un atome d'un corps radioactif ; par exemple : un détecteur de radioactivité type Geiger, relié à un interrupteur provoquant la chute d'un marteau cassant une fiole de poison — Schrödinger proposait de l'acide cyanhydrique, qui peut être enfermé sous forme liquide dans un flacon sous pression et se vaporiser, devenant un gaz mortel, une fois le flacon brisé. Si les probabilités indiquent qu'une désintégration a une chance sur deux d'avoir eu lieu au bout d'une minute, la mécanique quantique indique que, tant que l'observation n'est pas faite, l'atome est simultanément dans deux états (intact/désintégré). Or le mécanisme imaginé par Erwin Schrödinger lie l'état du chat (mort ou vivant) à l'état des particules radioactives, de sorte que le chat serait simultanément dans deux états (l'état mort et l'état vivant), jusqu'à ce que l'ouverture de la boîte (l'observation) déclenche le choix entre les deux états. Du coup, on ne peut absolument pas dire si le chat est mort ou non au bout d'une minute.
Selon le point de vue du grand système (particule + chat), le chat est dans un état superposé "mort/vivant" tant qu'un observateur n'a pas regardé l'intérieur de la boite. Cela soulève donc le problème de l'incohérence apparente des règles quantiques puisque les deux points de vue paraissent aussi justifiés l'un que l'autre. Pour sauver la mécanique quantique, on peut préférer préférer le premier point de vue, (on applique le principe de réduction au paquet d'ondes au photon seul pour faire une mesure), qui seul donne le bon résultat, car jamais aucun physicien n'a observé un appareil de mesure dans un état superposé. Mais cette solution bien qu'opérationnellement valide, ne donne aucun critère objectif permettant de définir ce qu'est une mesure (à quel moment se décide le sort du chat?). Ce critère pragmatique est efficace mais conceptuellement insuffisant. Il est donc impossible de caractériser une mesure comme étant une interaction avec un objet macroscopique. Qu'est-ce donc qui différencie une mesure d'une interaction banale? Avant tout, elle doit permettre de connaître la valeur d'une grandeur physique. Résumons la suite d'évènements qui se produisent lors de la mesure: arrivée du photon sur le cristal de calcite....réaction du détecteur qui par exemple provoque l'allumage d'une ampoule, observation de l'ampoule allumée par l'expérimentateur qui prend connaissance du détecteur activé. Appliquer l'équation de Schrödinger à l'ensemble des systèmes physiques de l'expérience jusqu'à l'ampoule est parfaitement cohérent. Dans ce cas, aucune mesure n'est effectuée sur le grand système et celui-ci devrait se trouver après la mesure dans un état superposé et les lampes dans une superposition d'états "allumée/éteinte", ce qui n'est évidemment pas le cas. A un moment de la chaîne, une mesure réduisant les états superposés se produit. Mais il n'y a aucune raison pour que cette réduction intervienne à un moment plutôt qu'à un autre dans la chaîne. Mais dans le dernier maillon,"observation de l'ampoule allumée par l'expérimentateur qui prend connaissance du détecteur activé", une chaîne d'évènements se produit: un photon pénètre dans l'oeil de l'observateur, le nerf optique est excité...l'observateur prend conscience de ce qu'il voit. La chaîne, appelée "chaîne de Von Neumann" ne fait intervenir que des systèmes physiques jusqu'à la prise de conscience de l'observateur. Aucune raison ne s'impose pour décider que la mesure est faite à tel ou tel endroit. En revanche, la conscience de l'observateur semble semble être le bon endroit où peut se briser la chaîne et où se produit la mesure. Cette position a été défendue par Von Neumann, London et Bauers et par Wigner. Wigner supposait que la conscience est hors du champ de la mécanique quantique et qu'elle est responsable de la réduction du paquet d'ondes. Cette interprétation n'a jamais été acceptée par la majorité des physiciens. Elle introduit un dualisme gênant pour beaucoup: il existerait dans le monde deux sortes d'entités, celles qui sont soumises à la mécanique quantique et les consciences qui ne le sont pas (cette idée n'est pas neuve, Descartes l'a défendue, c'était la glande épiphyse). Aujourd'hui, on ne s'en satisfait pas, mais aucune autre n'est disponible. Par ailleurs, les implications de cette position sont étonnantes et soulèvent des questions. Une grandeur n'a de valeur définie que lorsqu'elle est mesurée. Par exemple, c'est la conscience de l'observateur qui est donc responsable du fait qu'une particule possède une position définie. Quel sens donner à l'existence d'une particule pour laquelle aucune des grandeurs physiques attachées ne possède de valeur? Son existence même est subordonnée à la présence d'un observateur qui fait une mesure sur elle et il serait illégitime de dire qu'une particule existe en l'absence de cet observateur. La conséquence ultime serait que les objets (constitués de particules) n'existent que lorsque quelqu'un est là pour les observer. Mais alors, qu'était l'univers avant l'apparition de l'homme...? On aboutit à des questions absurdes qui jettent un doute sur la validité de l'hypothèse. Le moyen extrême d'y répondre est d'adopter une position solipsiste: une seule conscience existe, le sienne et tout n'est que création de cette conscience. Mais cette position, bien que cohérente, est stérile.
Une autre proposition a été faite en 1957 par Hugg Everett III, soutenue un temps par Wheeler et qui joue encore un rôle dans certaines versions de la cosmologie quantique. (source wikipédia) Hugh Everett, estimait invraisemblable qu'une fonction d'onde déterministe donne lieu à des observations qui ne le sont pas, conséquence pourtant d'un postulat de la mécanique quantique, celui de la réduction du paquet d'onde. Ce postulat pose également un problème de cohérence mathématique avec le problème de la mesure quantique dans cette même théorie...nombre de physiciens au nombre desquels David Deutsch et Colin Bruce la considèrent la seule possible à ne pas nécessiter quelque deus ex machina introduisant en permanence de l'anti-hasard dans l'univers. Sans indiquer réellement son opinion sur cette théorie, Murray Gell-Mann montre pour elle, dans son livre le Quark et le Jaguar, une sympathie bienveillante....Selon lui, la seule source d'anti-hasard possible était l'observateur lui-même, ou plus exactement : sa nature d'observateur qui lui était propre (le résultat qu'il observait le caractérisant lui-même en tant que cet observateur) et ne concernait pas l'univers qui restait parfaitement neutre et comportait toutes les possibilités prévues par la théorie quantique. Les possibilités par lui observées définissaient seules l'observateur, qui ne percevait donc que cet univers-là.
Cependant cette théorie soulève plus de problèmes qu'elle n'en règle. Elle ne donne aucun critère précis pour déterminer quand les scissions d'univers se produisent et se contente de dire que cela se produit quand un évènement du type mesure intervient. Elle est, par nature, non testable ni falsifiable. et selon le critère de Popper, ne peut être qualifiée de scientifique.
d) La théorie de l'environnement, début d'une solution.
Une solution mieux acceptée fait suite à une remarque de H Zeh selon laquelle les systèmes macroscopiques ne peuvent être isolés si on les traite du point de vue quantique. Cependant, il ne faut pas oublier leur environnement, ce qui a été le cas pour le problème de la mesure jusqu'aux années 1970. C'est justifié dans les cas usuels quand l'influence de l'environnement est extrêmement faible et ne produit aucune conséquence appréciable dans l'évolution du système. Mais les niveaux d'énergie des systèmes macroscopiques sont très proches les uns des autres et une très petite perturbation peut provoquer une transition. Comme le dit B. D'Espagnat: "Même un infime grain de poussière perdu dans les espaces interstellaires ne peut être considéré comme restant isolé durant un laps de temps appréciable". On peut intégrer l'environnement et considérer l'ensemble système+appareil + ... + environnement restera dans un état superposé, mais on n'aura rien gagné. Le premier à décrire un mécanisme explicite faisant intervenir l'environnement pour résoudre le problème de la mesure fut fut W. Zurek au début des années 1980. Il faut introduire auparavant "la matrice densité".
e) La matrice densité et la formulation du problème de la mesure.
"La matrice densité" est un moyen plus général de représenter les états quantiques. Pour simplifier la présentation commençons par une analogie classique présentée par Hervé Zwirn dans son livre "les limites de la connaissance". Imaginons une boite fermée contenant un dé et secouons la. Avant d'ouvrir le couvercle nos savons que le dé peut montrer un chiffre de 1 à 6, mais nous ne savons pas lequel. En faisant la même opération sur un grand nombre de N boites identiques, chaque chiffre apparaîtra dans approximativement 1/6 des boites. Une façon de décrire l'état de l'ensemble des dés contenus dans les boites est de dire qu'il s'agit d'un mélange de dés dont 1/6 est dans l'état 1, 1/6 dans l'état 2 etc. On peut le représenter par un tableau carré de 36 éléments dont les éléments diagonaux sont tous égaux à 1/6 et les autres tous nuls. Un tel tableau est appelé une "matrice carrée diagonale d'ordre 6". On peut l'utiliser pour connaître la probabilité qu'en ouvrant la boite on trouve un dé montrant la face 1. Il suffit de regarder l'élément situé à l'intersection de la ligne 1 et de la colonne 1 (le premier élément diagonal). Pour la probabilité qu'un dé montre la face i, il suffit de regarder l'élément diagonal n° i. Si les dés sont biaisés tous de la même, façon on aura des probabilités différentes pour chaque face (pi = ni/N), mais le principe reste le même. Dans cet exemple simplifié, une telle représentation paraît inutilement complexe, mais il en est autrement en mécanique quantique.
Considérons un ensemble E de N électrons, tous dans le même état de spin superposé Cosα |+>z + Sinα |->z. une mesure de spin suivant Oz d'un électron peut donner le résultat + avec la probabilité Cos²α et le résultat - avec la probabilité Sin²α. Par analogie avec l'exemple des dés, on pourrait penser que la matrice carrée descriptive de l'ensemble E est la matrice carrée diagonale d'ordre 2 contenant Cos²α comme premier élément diagonal et Sin²α comme deuxième élément diagonal. Ce serait celle d'un mélange M d'électrons dont une proportion Cos²α est dans l'état |+>z et une proportion Sin²α dans l'état |->z. Mais cet état n'est pas identique à l'ensemble E d'électrons tous dans l'état superposé. Le formalisme quantique prescrit que cette matrice contienne en outre les éléments non diagonaux.
| Cos²α 0| | Cos²α CosαSinα|
|0 Sin²α| |CosαSinα Sin²α|
Matrice du mélange M Matrice de l'ensemble E
Les éléments non diagonaux de la matrice E représentent les termes d'interférence. Si on effectue une mesure de spin suivant Oz de tous les électrons de l'ensemble E, chacun tombe dans un état de spin défini suivant Oz avec une probabilité définie par les éléments diagonaux. L'ensemble E devient identique au mélange M. Le problème de la mesure est donc d'expliquer comment se fait le passage de la matrice non diagonale représentant un état superposé à la matrice diagonale représentant un état réduit.Problème supplémentaire: Quelle est la grandeur mesurée?
Le vecteur d'état est un vecteur de l'espace vectoriel de Hilbert. Un espace vectoriel est engendré par la combinaison linéaire d'un ensemble de vecteurs indépendants qui forment "une base de ce espace". Une infinité de bases sont possibles puisqu'à partir d'une base, on peut en définir une nouvelle en choisissant de nouveaux vecteurs indépendants, combinaisons linéaires des anciens vecteurs de base (par exemple |+>z et |->z et 1/√2 [|+>z + |->z) . Il est équivalent d'exprimer l'état d'un électron dans une base ou dans l'autre. Or la matrice densité prend une forme différente selon la base et n'est pas diagonale dans n'importe laquelle. Comment est alors choisie la base dans laquelle elle est diagonale? Cette question, exprimée sous forme physique revient à se demander pourquoi avec un appareil de Stern et Gerlach dont le champ magnétique est orienté selon Oz, on ne pourrait pas mesurer le spin suivant Ox? Supposons qu'on envoie un électron dans l'état 1/√2 [|+>z + |->z) dans l'appareil dont le champ magnétique est orienté selon Oz. Après l'interaction mais avant l'observation du résultat, une corrélation s'est établie entre l'état de l'appareil et celui de l'électron, dont le vecteur du système électron + appareil peut s'écrire: ψSA = 1/√2 { |+>z + |->z ] }. L'observation permettra la réduction du paquet d'ondes et aboutira à à un impact de l'électron soit en haut, soit en bas . Mais le même état ψSA peut être écrit dans n'importe quelle base. Dans la base |+>x et |->x, il s'écrirait: ψSA = 1/2 { |+>x [ + ] + |->x [ - ] }. Interprétation: l'observation d'un état superposé d'impact haut et bas de l'électron sur l'écran (l'état [ + ]) est corrélé à une mesure de spin + suivant Ox. On n'observe jamais d'états superposés pour un électron mais cela n'explique pas pourquoi il en est ainsi. Rien ne privilégie le fait que l'appareil doive être observé uniquement dans les états ou , c'est justement un des problèmes. Il en résulte que tant qu'on ne sait pas dans quelle base la matrice est diagonalisée, le formalisme quantique n'indique pas quelle est la grandeur mesurée.
f) La solution de Zurek: la décohérence.
L'intervention entre l'appareil de mesure et l'environnement est déterminée par un hamiltonien d'interaction (le hamiltonien est l'opérateur H associé à l'énergie qui intervient dans l'équation de Schrödinger). Zurek montre que si ce dernier a une forme bien particulière, on peut préciser quelle grandeur est mesurée. La base de l'espace des états qui est sélectionnée pour diagonaliser la matrice densité correspond aux grandeurs physiques de l'appareil de mesure qui ne sont pas perturbées par l'interaction de ce dernier avec l'environnement (c'est la base des vecteurs propres de l'observable qui commute avec le hamiltonien d'interaction. On montre aussi que l'interaction du système (l'électron) et de l'appareil avec l'environnement est responsable de la diagonalisation de la matrice, donc de la réduction du paquet d'onde. Ce phénomène est connu sous le nom de "décohérence".
"Décohérence: source wikipédia": L'idée de base de la décohérence est qu'un système quantique ne doit pas être considéré comme isolé, mais en interaction avec un environnement possédant un grand nombre de degrés de liberté. Ce sont ces interactions qui provoquent la disparition rapide des états superposés.
En effet, selon cette théorie, chaque éventualité d'un état superposé interagit avec son environnement ; mais la complexité des interactions est telle que les différentes possibilités deviennent rapidement incohérentes (d'où le nom de la théorie). On peut démontrer mathématiquement que chaque interaction « déphase » les fonctions d'onde des états les unes par rapport aux autres, jusqu’à devenir orthogonales et de produit scalaire nul. En conséquence, la probabilité d'observer un état superposé tend rapidement vers zéro.
Seuls restent observables les états correspondant aux états observables macroscopiquement, par exemple - dans le cas du Chat de Schrödinger - mort ou bien vivant.
Les interactions et l'environnement dont il est question dans cette théorie ont des origines très diverses3. Typiquement, le simple fait d'éclairer un système quantique suffit à provoquer une décohérence. Même en l'absence de tout éclairage, il reste au minimum les photons du fond diffus cosmologique qui provoquent également une décohérence, bien que très lente.
Naturellement, le fait de mesurer volontairement un système quantique provoque des interactions nombreuses et complexes avec un environnement constitué par l'appareil de mesure. Dans ce cas, la décohérence est pratiquement instantanée et inévitable.
Donc, pour la théorie de la décohérence, l'effondrement de la fonction d'onde n'est pas spécifiquement provoquée par un acte de mesure, mais peut avoir lieu spontanément, même en l'absence d'observation et d'observateurs4. Ceci est une différence essentielle avec le postulat de réduction du paquet d'onde qui ne spécifie pas comment, pourquoi ou à quel moment a lieu la réduction, ce qui a ouvert la porte à des interprétations mettant en jeu la conscience et la présence d'un observateur conscient. Ces interprétations deviendront sans objet si la théorie de la décohérence devient suffisamment complète pour préciser ces points.
Durée de la décohérence
Avec certains modèles simples, mais pertinents, il est possible de calculer les valeurs théoriques de temps de décohérence dans un certain nombre de cas de figure. Les valeurs calculées à l'aide de ces modèles dépendent essentiellement de la grandeur de l'objet considéré et de l'environnement.
Temps de décohérence (en secondes) par type d'objet et par environnement5Poussière (10-3 cm)Agrégat moléculaire (10-5 cm)Molécule complexe (10-6 cm)
Dans l'air 10-36 s 10-32 s 10-30 s
Vide de laboratoire (106 molécules d'air par cm3) 10-23 s 10-19 s 10-17 s
Vide parfait + éclairage soleil 10-21 s 10-17 s 10-13 s
Vide intergalactique + rayonnement 3K 10-6 s 106 s ~ 11 jours 1012 s ~ 32000 ans
Unicité de la mesure
La décohérence mène non pas à un état unique, comme dans la réalité, mais à un ensemble d'états mutuellement exclusifs dont les probabilités sont régies par les lois de la physique quantique.
Par exemple, la matrice densité du chat de Schrödinger évolue par décohérence en ce qui signifie que le chat est soit mort avec une probabilité de 0.5 ou soit vivant avec une probabilité de 0.5, et non pas en ou comme on aurait pu le souhaiter, car - finalement- l'état constaté du chat correspond à une de ces deux dernières matrices.
Ainsi, le mécanisme qui "choisit" l'état final du chat échappe à la théorie de la décohérence. Or, le postulat de réduction du paquet d'onde stipule que l'état final est bien projeté sur une et une seule valeur. Ce postulat n'est donc pas entièrement couvert par la théorie de la décohérence.
Le problème de la mesure est-il définitivement réglé? La réponse à cette question délicate dépend en grande partie des présupposés philosophiques qu'on adopte: voir le prochain article: conséquences philosophiques.
g) La théorie de bohm.
C'est une amélioration de la théorie de De Broglie et la plus aboutie des théories à variables cachées, elle réussit à reproduire correctement les résultats de la mécanique quantique et même ceux de la mécanique quantique relativiste ("théorie quantique des champs"). Dans cette théorie, la fonction d'onde d'une particule ψ possède deux significations. C'est, comme en mécanique quantique, une distribution de probabilités dont le carré du module donne la probabilité de présence de la particule, mais c'est aussi une onde réelle qui lui sert de guide comme dans l'interprétation de De Broglie. Issue d'un "potentiel quantique", elle détermine de façon univoque la trajectoire que suit la particule. Cette théorie est donc déterministe et proche sur ce plan de la physique classique. Selon D'Espagnat, elle est "ontologiquement interprétable". Cependant, pour être en accord avec les prédictions de la mécanique quantique, elle doit être non-locale et contextuelle en raison des inégalités de Bell et du théorème de Kochen-Specker et le comportement des particules est très différent de celui de la physique classique. la non-localité implique qu'une particule que la valeur possédée par une particule peut dépendre de celle d'une particule distante. De plus, la valeur prédite pour une grandeur appartenant à une particule dépend de la configuration de l'appareillage mis en oeuvre et de l'environnement (contextualisme). Donc, bien que parfaitement déterminée, la trajectoire d'une particule ne peut être mesurée, puisqu'elle dépend de l'appareillage et de ses modifications.
C'est une amélioration de la théorie de De Broglie et la plus aboutie des théories à variables cachées, elle réussit à reproduire correctement les résultats de la mécanique quantique et même ceux de la mécanique quantique relativiste ("théorie quantique des champs"). Dans cette théorie, la fonction d'onde d'une particule ψ possède deux significations. C'est, comme en mécanique quantique, une distribution de probabilités dont le carré du module donne la probabilité de présence de la particule, mais c'est aussi une onde réelle qui lui sert de guide comme dans l'interprétation de De Broglie. Issue d'un "potentiel quantique", elle détermine de façon univoque la trajectoire que suit la particule. Cette théorie est donc déterministe et proche sur ce plan de la physique classique. Selon D'Espagnat, elle est "ontologiquement interprétable". Cependant, pour être en accord avec les prédictions de la mécanique quantique, elle doit être non-locale et contextuelle en raison des inégalités de Bell et du théorème de Kochen-Specker et le comportement des particules est très différent de celui de la physique classique. la non-localité implique qu'une particule que la valeur possédée par une particule peut dépendre de celle d'une particule distante. De plus, la valeur prédite pour une grandeur appartenant à une particule dépend de la configuration de l'appareillage mis en oeuvre et de l'environnement (contextualisme). Donc, bien que parfaitement déterminée, la trajectoire d'une particule ne peut être mesurée, puisqu'elle dépend de l'appareillage et de ses modifications.
On rétablit donc l'ontologie de la physique classique, mais en même temps, on s'interdit d'avoir connaissance de ses propriétés. Pour Bohm, ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas connaître quelque chose que ce quelque chose n'existe pas, alors que pour Bohr, si nous ne pouvons pas connaître quelque chose, alors il est inutile d'en parler. Cependant, la théorie de Bohm est alléchante par un retour aux concepts classiques, mais elle enlève tout moyen d'en avoir une véritable connaissance et n'a aucune conséquence empirique qui permette de la préférer à la mécanique quantique tout en étant d'une complexité technique supérieure.
h) Trois autres solutions.
- Rimini Girardi et Weber (GRW) ont modifié l'équation de Schrödinger en un terme qui permet une évolution dans laquelle un état pur se change en un mélange statistique bien défini, mais son interprétation présente des difficultés liées à la non-localité et au fait que lors de la réduction du paquet d'ondes, celui-ci voit son énergie augmentée.
- Roland Omnès et Griffiths. Un des buts de Griffiths est est de rétablir le fait qu'une mesure nous renseigne, non pas sur la propriété mesurés après la mesure, mais sur celle qu'elle possédait avant. Il s'agit de retrouver la possibilité pour une grandeur de posséder une valeur définie en l'absence d'une mesure. Il utilise le concept d'histoire (succession des valeurs que possède une observable). Certaines histoires, dites "cohérentes", sont supposées interprétables de manière réaliste. Omnes a poursuivi dans ce sens avec les "logiques cohérentes".
Histoires consistantes (source wikipédia).
Cette approche a été proposée par Robert B. Griffith en 1984, et a ensuite été reprise et développée par Roland Omnès 1987 et Murray Gell-Mann en 1990.Elle consiste à modéliser l'évolution d'un système quantique par une « histoire consistante ». Une histoire est une séquence de sous-espaces vectoriels F1,..,Fn (qui, rappelons le, d'après le postulat 1, représentent chacun un état quantique du système), à des temps t1,..,tn.
Les temps t1,..,tn ne sont pas quelconques, mais sont caractérisés par un évènement particulier, ou des changements de propriétés du système, en fonction de l'expérience réalisée et du système décrit. À chaque temps ti est associé une observable Ai qui elle-même se décompose en un ensemble complet de projecteurs orthogonaux Ej.
À chaque temps ti, l'observable associée Ai subdivise l'histoire en cours en n histoires différentes, n étant le nombre de projecteurs orthogonaux de l'observable. Par exemple, à partir d'un état (un sous-espace vectoriel) F1 au temps t1, on a n sous-espaces F2.1, F2.2, .., F2.n au temps t2 etc. On a donc alors un arbre d'histoire qui se ramifie à chaque temps t.
Une histoire consiste donc à suivre un chemin dans cet arbre, en sélectionnant à chaque temps t un sous-espace parmi tous ceux possibles.
Parmi toutes ces histoires, tous ces chemins, certaines sont qualifiées de consistantes, si elles satisfont certaines conditions. Ces conditions expriment essentiellement que, quels que soient les sous espaces (Fi,Fj) pris dans une histoire, les états correspondant sont sans interférences quantiques, c'est-à-dire s'excluent mutuellement. Ce sont les seuls histoires retenues dans les calculs, les autres sont considérées comme « irréelles ».
Ce modèle permet de retrouver les règles de calcul de probabilité décrites par le postulat 4, et de faire certaines prévisions expérimentales vérifiées. Cela permet de justifier que les histoires inconsistantes sont effectivement irréelles.
- Gell-Man et Hartle font aussi appel au concept d'histoire. Mais il ne leur apparaît pas possible d'attribuer une probabilité à toute histoire. Seules certaines histoires "à gros grains" obtenues comme sommes d'histoires "à grains fins" (plus précises) peuvent se voir attribuer une probabilité. Le procédé qui consiste à passer d'histoires précises, à grains fins a des histoires à gros grains est appelé "coarse graining". Cette théorie utilise aussi bien le coarse graining que la décohérence de manière objective, mais il apparaît que cette volonté ne peut être considérée comme satisfaite (Hervé Zwirn).
i) Conclusion.
Il en résulte que les solutions précédentes ne peuvent être considérées comme remettant en cause de manière significative les conséquences qui seront présentées dans le prochain article: réalisme et monde quantique, conséquences philosophiques.
Ce cinquième article conclura cette série d'articles de présentation du monde quantique avant d'aborder plus précisément les questions plus philosophiques sur les limites et contre-limites de la connaissance et sur les doutes sur la réalité (que croire?). Un article intermédiaire sur le chaos quantique (sujet plutôt difficile) servira de transition.
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