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1) 'Vers un nouveau paradigme': Texte de Edgar Morin (sociologue, philosophe), issu du Sciences humaines n°47, fév. 19952)
2) Leçon 116. Le paradigme de la complexité
1) 'Vers un nouveau paradigme':
Texte de Edgar Morin (sociologue, philosophe), issu du Sciences humaines n°47, fév. 19952)
La pensée de la complexité se présent comme un nouveau paradigme né à la fois du développement et des limites des sciences contemporaines. Elle n'abandonne pas les principes de la science classique mais les intègre dans un schéma plus large et plus riche.
La complexité : tel est le défin majeur de la pensée contemporaine, qui nécessite une réforme de notre mode de pensée. La pensée scientifique classique s'est édifiée sur trois piliers que sont 'l'ordre', la 'séparabilité', la 'raison'. Or, les assises de chacun sont aujourd'hui ébranlées par les développements mêmes des sciences qui s'étaient à l'origine fondées sur ces trois piliers.
La notion 'd'ordre' se dégageait d'une conception déterministe et mécaniste du monde. Tout désordre apparent était considéré comme le fruit de notre ignorance provisoire. Derrière ce désordre apparent, il y avait un ordre caché à découvrir.
Les piliers de la science classique
Cette idée d'un ordre universel a été remise en cause d'abord par la thermodynamique qui a reconnu dans la chaleur une agitation moléculaire désordonnée, puis par la microphysique, puis par la cosmophysique, et aujourd'hui par la physique du chaos. Les idées d'ordre et de désordre cessent de s'exclure absolument l'une l'autre : d'une part un ordre organisationnel peut naître dans des conditions voisines de la turbulence, d'autre part des processus désordonnées peuvent naître à partir d'états initiaux déterministes.
La pensée complexe, loin de substituer l'idée de désordre à celle d'ordre, vise à mettre en dialogique l'ordre, le désordre et l'organisation.
Le second pilier de la pensée classique est la notion de 'séparabilité'. Elle correspond au principe cartésien selon lequel il faut, pour étudier un phénomène ou résoudre un problème, le décomposer en éléments simples. Ce principe s'est traduit dans le domaine scientifique d'une part par la spécialisation, puis l'hyper spécialisation disciplinaire, d'autre part par l'idée que la réalité objective puisse être considérées sans tenir compte de son observateur.
Or, depuis un quart de siècle, se sont développées des 'sciences systémiques' qui relient ce qui est étudié séparément par les disciplines traditionnelles. Leur objet est constitué par les interactions entre éléments et non plus leur séparation. L'écologie-science a pour objet les écosystèmes et la biosphère, qui sont des ensembles de constituants interdépendants qui relèvent séparément de la zoologie, de la géographie, des sciences physiques, etc. Les sciences de la terre envisagent notre planète comme un système complexe qui s'autoproduit et s'auto-organise ; elles articulent entre elles des disciplines autrefois séparées comme l'étaient la géologie, la métérologie, la vulcanologie, la sismologie, etc.
Autre aspect de la séparabilité : celui de la disjonction entre l'observateur et son observation. Elle a également été remise en cause par la physique contemporaine. En microphysique nous savons, depuis Heisenberg, que l'observateur interfère avec son observation. Dans les sciences humaines et sociales, il paraît de plus en plus évident qu'il n'existe aucun sociologue ou économiste qui pourrait trôner, tel Sirius, au-dessus de la société. Il est un fragment à l'intérieur de cette société, et la société, en tant que tout, est à l'intérieur de lui.
La pensée complexe ne remplace pas la séparabilité par l'inséparabilité, elle appelle à une dialogique qui utilise le séparable mais l'insère dans l'insérapable.
Le troisième pilier de notre mode de pensée est celui de la logique inductive-déductive-identitaire identifiée à une raison absolue. La raison classique reposait sur les trois principes d'induction, de déduction et l'identité (c'est-à-dire le rejet de la contradiction). Le premier coup de boutoir a été donné par Karl Popper contre l'induction, qui permettait de tirer les lois générales d'exemples particuliers. K. Popper a justement fait remarquer que l'on ne pouvait, en toute rigueur, induire une loi universelle telle que 'tous les cygnes sont blancs', du seul fait qu'on en avait jamais vu de noir. L'induction a incontestablement une valeur heuristique, mais non valeur de preuve absolue.
Le théorème d'incomplétude de Gödel montre par ailleurs qu'un système déductif formalisé ne peut trouver en lui-même la démonstration absolue de sa validité. C'est que qu'a montré également Tarski dans sa logique sémantique : aucun système ne dispose de moyens suffisants pour s'auto-expliquer. Il est dans certains cas possible de trouver preuve ou explication dans des métasystèmes, mais ceux-ci comportent également en eux une brèche. On peut certes élaborer des 'méta-points de vue' : par exemple, pour connaître ma société, je peux comparer entre elles les sociétés contemporaines, étudier par contraste les sociétés 'possibles'. Cela me permet d'édigier une sorte de mirador à partir duquel je peux observer d'autres sociétés extérieures tout en demeurant à l'intérieur de la mienne. Mais en aucun cas, il n'existe de métasystème théorique qui permettrait de dépasser notre condition sociale ou notre condition humaine, c'est-à-dire faire de nous des être métasociaux et métahumains.
Enfin, les développements de certaines sciences comme la microphysique ou la cosmophysique sont arrivées de façon empiricorationnelle à des contradictions insurmonables comme celles concernant l'apparente double nature contradictoire de la particuluer (onde-corpuscule) et celles concernant l'origine de l'univers, de la matière, du temps, de l'espace.
Ainsi, si nous ne pouvons nous passer de la logique inductive-déductive-identitaire, celle-ci ne peut être l'instrument de la certitude et de la preuve absolue. La pensée complexe appelle, non l'abandon de cette logique, mais une combinaison dialogique entre son utilisation segment par segment et sa transgression dans les trous noirs où elle cesse d'être opérationnelle.
Les trois théories
Ordre, séparabilité et raison absolue, ces trois piliers de notre mode de pensée ont donc été ébralés par les développements des sciences contemporaines. Dès lors, comment s'acheminer dans un univers où l'ordre n'est plus absolu, où la séparabilité est limitée, où la logique elle-même comporte des trous? Tel est le problème auquel s'affronte la pensée de la complexité.
Une première voie d'accès est ce que l'on peut appeler aujourd'hui 'les trois théories' que sont la théorie de l'information, la cybernétique et la théorie des systèmes. Ces trois théories, cousines inséparables, sont apparues au début des années 40 et se sont mutuellement fécondées.
- La théorie de l'information est un outil de traitement de l'incertitude, de la surprise, de l'inattendu. Ainsi, l'information qui indique quel est le vainqueur d'une bataille résout une incertitude ; celle qui annonce la mort subite d'un tyran apporte l'inattendu en même temps que la nouveauté.
Ce concept d'information permet d'entrer dans un univers où il y a à la fois de l'ordre (la redondance), du désordre (le bruit) et en extraire du nouveau (l'information elle-même). De plus, l'information peut prendre une forme organisatrice (programmatrice) au sein d'une machine cybernétique. L'information devient alors ce qui contrôle l'énergie et ce qui donne autonomie à une machine.
- La cybernétique est en elle-même une théorie des machines autonomes. L'idée de rétroaction, qu'introduit Norbert Wiener, rompt avec le principe de causalité linéaire en introduisant l'idée de boucle causale. A agit sur B et B agit en retour sur A. La cause agit sur l'effet, et l'effet sur la cause, comme dans un système de chauffage où le thermostat règle la marche de la chaudière. Ce mécanisme dit de 'régulation' est ce qui permet l'autonomie d'un système, ici l'autonomie thermique d'un appartement par rapport au froid extérieur. Comme Cannon l'a très bien montré dans The wisdom of body (1930), dans le cas d'un organisme vivant, 'l'homéostasie' est un ensemble de processus régulateurs fondés sur de multiples rétroactions. La boucle de rétroaction (appelée feed-back) permet, sous sa forme négative, de stabiliser un système, de réduire la déviance, comme c'est le cas pour l'homéostasie. Sous sa forme positive, le feed-back est un mécanisme amplificateur, par exemple dans la situation de la montée aux extrêmes d'un conflit armé. La violence d'un protagoniste entraîne une réaction violente qui, à son tour, entraîne une réaction encore plus violente. De telles rétroactions, inflationnistes ou stabilisatrices, sont légions dans les phénomènes économiques, sociaux, politiques ou psychologiques. L'idée de rétroaction avait été pressentie par Marx lorsqu'il disait que l'infrastructure matérielle d'une société produit la superstructure (sociale, politique, idéologique), mais qu'en retour, la superstructure rétroagit sur l'infrastructure matérielle...
- La théorie des systèmes jette également les bases d'une pensée de l'organisation. La première leçon systémique est que 'le tout est plus que la somme des parties'. Cela signifie qu'il existe des qualités émergentes qui naissent de l'organisation d'un tout, et qui peuvent rétroagir sur les parties. Ainsi, l'eau a des qualités émergentes par rapport à l'hydogène et l'oxygène qui la constituent. J'ajoute que le tout est également moins que la somme des parties car les parties peuvent avoir des qualités qui sont inhibées par l'organisation de l'ensemble.
La théorie des sytèmes nous aide également à penser les hiérarchies des niveaux d'organisation, les sous-systèmes et leurs imbrications, etc.
L'ensemble de ces trois théories - théorie de l'information, cybernétique et théorie des systèmes - nous introduit dans un univers des phénomènes organisés où l'organisation se fait avec et contre le désordre.
A ces trois théories, il faut ajouter les développement conceptuels apportés par l'idée d'auto-organisation. Ici, des noms doivent être mentionnés : von Neumann, von Foerster, Atlan etPrigogine. Dans sa théorie des automates auto-organisateurs, von Neumann s'est posé la question de la différence entre machines artificielles et 'machines vivantes'. Il a pointé ce paradoxe : les éléments des machines artifielles sont très bien usinés, très perfectionnés mais se dégradent dès que la machine commence à fonctionner. Par contre, les machines vivantes sont composés d'éléments très peu fiables, comme les protéines, qui se dégradent sans cesse ; mais ces machines possèdent d'étranges propriétés de se développer, de se reproduire, de s'autorégénérer en remplaçant justement les molécules dégradées par de nouvelles et les cellules mortes par des cellules neuves. La machine artificielle ne peut se réparer elle-même, s'auto-organiser et se développer, alors que la machine vivante se régénère en permanence à partir de la mort de ses cellules selon la formule d'Héraclite 'vivre de mort, mourir de vie'. L'apport de von Foerster réside dans sa découverte du principe de 'l'ordre par le bruit' ('Order from noise'). Ainsi, des cubes aimantés sur deux faces vont organiser un ensemble cohérent par assemblage spontané sous l'effet d'une énergie non directionnelle, à partir d'un principe d'ordre (l'aimantation). On assiste donc à la création d'un ordre à partir du désordre. Atlan a pu alors concervoir sa théorie du 'hasard organisateur'. On retrouve une dialogique ordre/désordre/organisation à la naissance de l'univers à partir d'une agitation calorifique (désordre) où, dans certaines conditions (rencontres au hasard), des principes d'ordre vont permettre la constitution des noyaux, des atomes, des galaxies et des étoiles. On retrouve encore cette dialogique lors de l'émergence de la vie par rencontres entre macromolécules au sein d'une sorte de boucle autoproductrice qui finira par devenir auto-organisation vivante. Sous des formes les plus diverses, la dialogique entre l'ordre, le désordre et l'organisation, via d'innombrables inter-rétro-actions, est constamment en action dans les mondes physique, biologique et humain.
Prigogine, avec sa thermodynamique des processus irréversibles, a introduit d'une autre façon l'idée d'organisation à partir du désordre. Dans l'exemple des tourbillons de Benard on voit comment des structures cohérentes se constituent et s'auto-entretiennent, à partir d'un certain seuil d'agitation et en-deçà d'un autre seuil, dans des conditions qui seraient celles d'un désordre croissant. Bien entendu, ces organisations ont besoin d'être alimentées en énergie, de consommer, de 'dissiper' et l'énergie pour se maintenir. Dans le cas de l'être vivant, celui-ci est assez autonome pour puiser de l'énergie dans son environnement, et même d'en extraire des informaitons et d'en intégrer de l'organisation. C'est ce que j'ai appelé 'l'auto-éco-organisation'.
La pensée de la complexité se présente donc comme un édifice à plusieurs étages. La base est formée à partir des trois théories (information, cybernétique et système) et comporte les outils nécessaires pour une théorie de l'organisation. Vient ensuite un deuxième étage avec les idées de von Neumann, von Foerster et Prigogine sur l'auto-organisation. A cet édifice, j'ai voulu apporter des éléments supplémentaires. Notamment, trois principes : le principe dialogique, le principe de récursion et le principe hologrammatique.
- Le principe dialogique unit deux principes ou notions antogonistes, qui apparemment devraient se repousser l'une l'autre, mais qui sont indissociables et indispensables pour comprendre une même réalité. Le physicien Niels Bohr a, par exemple, reconnu la nécessité de penser les particules physiques à la fois comme corpuscules et comme ondes. Comme le dit Pascal : 'Le contraire d'une vérité n'est pas l'erreur mais une vérité contraire'. N. Bohr le traduit à sa façon : 'Le contraire d'une vérité triviale est une erreur stupide, mais le contraire d'une vérité profonde est toujours une autre vérité profonde'. Le problème est donc d'unir des notions antagonistes pour penser les processus organisateurs, productifs, et créateurs dans le monde complexe de la vie et de l'histoire humaine.
- Le principe de récursion organisationnelle va au-delà du principe de la rétroaction (feed-back) ; il dépasse la notion de régulation pour celle d'auto-production et auto-organisation. C'est une boucle géné ratrice dans laquelle les produits eet les effets sont eux-mêmes créateurs de ce qui les produit. Ainsi nous, individus, sommes les produits d'un système de reproduction issus du fond des âges, mais ce système ne peut se reproduire que si nous-mêmes nous en devenons les producteurs en nous accouplant. Les individus humains produisent la société dans et par leurs interactions, mais la société, en tant que tout émergeant, produit l'humanité de ces individus en leur apportant le langage et la culture.
- Le princidpe 'hologrammatique' met en évidence cet apparent paradoxe de certains systèmes, où non seulement la partie est dans le tout, mais le tout est dans la partie. Ainsi, chaque cellule est une partie d'un tout - l'organisme global - mais le tout est lui-même dans la partie : la totalité du patrimoine génétique est présent dans chaque cellule individuelle. De la même façon, l'individu est une partie de la société, mais la société est présente dans chaque individu en tant que tout à travers son langage, sa culture, ses normes...
On le voit, la pensée complexe propose un certain nombre d'outils de pensée issus des trois théories, des conceptions de l'auto-organisation, et qui développe ses outils propres. Cette pensée de la complexité n'est nullement une pensée qui chasse la certitude pour mettre l'incertitude, ou qui chasse la séparation pour mettre à la place l'inséparabilité, ou encore qui chasse la logique pour s'autoriser toutes les transgressions.
La démarche consiste au contraire à faire un aller et retour incessant entre certitudes et incertitudes, entre l'élémentaire et le global, entre le séparable et l'inséparable. De même, on utilise la logique classique et les principes d'identité, de non-contradiction, de déduction, d'induction, mais on connaît leurs limites, on sait que dans certains cas, il faut les transgresser. Il ne s'agit donc pas d'abandonner les principes de la science classique - ordre, séparabilité et logique - mais de les intégrer dans un schéma qui est à la fois plus large et plus riche. Il ne s'agit pas d'opposer un holisme global à creux à un réductionnisme systématique ; il s'agit de rattacher le concret des parties à la totalité. Il faut articuler les principes d'ordre et de désordre, de séparation et de jonction, d'autonomie et de dépendance, qui sont en dialogique (complémentaires, concurrents et antagonistes) au sein de l'univers. En somme, la pensée complexe n'est pas le contraire de la pensée simplifiante, elle intègre celle-ci ; comme dirait Hegel, elle opère l'union de la simplicité et de la complexité, et même, dans le métasystème qu'elle constitue, elle fait apparaître sa propre simplicité. Le paradigme de complexité peut être énoncé non moins simplement que celui de simplification : ce dernier impose de disjoindre et de réduire ; le paradigme de complexité enjoint de relier tout en distinguant.
L'arrière fond philosophique
On trouve en fait dans l'histoire de la philosophie occidentale et orientale de nombreux éléments et prémisses d'une pensée de la complexité. Dès l'antiquité, Héraclite a posé la nécessité d'associer ensemble des termes contradictoires pour affirmer une vérité. A l'âge classique, Pascal est le penseur clé de la complexité ; rappelons le précepte qu'il formule dans ses Pensées : 'Toute chose étant aidée et aidante, causée et causante, je tiens pour impossible de connaître le tout sans connaître les parties et de connaître les parties sans connaître le tout'. Plus tard, E. Kant a mis en évidence les limites ou 'apories de la raison'. Chez Spinoza, on trouve l'idée de l'autoproduction du monde par lui-même. Chez Hegel, dont la dialectique annonce la dialogique, cette autoconstitution devient le roman-feuilleton dans lequel l'esprit émerge de la nature pour arriver à son accomplissement ; Nietzsche a posé le premier la crise des fondements de la certitude. Dans le méta-marxisme, on trouve avecArdono, Horkheimer, et chez Lukacs, non seulement de nombreux éléments d'une critique de la raison classique, mais bien des ingrédients d'une conception de la complexité.
A l'époque contemporaine, la pensée complexe peut commencer son développement à la confluence de deux révolutions scientifiques. La première révolution a introduit l'incertitude avec la thermodynamique, la physique quantique, et la cosmophysique. Cette révolution scientifique a déclenché les réflexions épistémologiques de Popper, Kuhn, Holton, Lakatos,Feyerabend, qui ont montré que la science n'était pas la certitude mais l'hypothèse, qu'une théorie prouvée ne l'était pas définitivement et demeurait 'falsifiable', qu'il y avait du non-scientifique (postulats, paradigmes, themata) au sein de la scientificité même.
La seconde révolution scientifique, plus récente, encore indétectée, est la révolution systémique dans les sciences de la terre et la science écologique. Elle n'a pas encore trouvé son prolongement épistémologique (qu'annoncent mes propres travaux).
La pensée complexe est donc essentiellement la pensée qui traite avec l'incertitude et qui est capable de concevoir l'organisation. C'est la pensée capable de relier (complexus : ce qui est tissé ensemble) de contextualiser, de globaliser, mais en même temps capable de reconnaître le singulier, l'individu, le concret.
Compléments au texte d'E. Morin
Jusqu'en 1940, il existait la pensée classique, tous les scientifiques voyaient les choses par cette pensée. A partir des années 1940, les scientifiques se sont basés sur la pensée complexe, c'est-à-dire l'interaction des événements les uns avec les autres. Mais la pensée complexe ne va pas abandonner les principes fondamentaus de la pensée classique, elle va les regrouper.
La pensée classique
3 piliers :
- L'ordre est une conception mécaniste et déterministe du monde, ordre universel. Tout est déterminé, tout a un ordre, le désordre n'est qu'apparent, l'ignorance du scientifique.
- La séparabilité, étude d'un domaine en le décomposant. Ceci a amené les scientifiques à la spécialisation. Séparabilité entre observateur et objectifs, les scientifiques se voulaient neutres.
- La raison, tout doit être logique. L'induction, la déduction et l'identitaire.
L'induction, on part d'un sujet et on aboutit à des théories.
La déduction, on part d'hypothèses qu'on cherche à vérifier.
L'identitaire, refuser la contradiction, jamais prendre deux choses ensemble.
L'induction, on part d'un sujet et on aboutit à des théories.
La déduction, on part d'hypothèses qu'on cherche à vérifier.
L'identitaire, refuser la contradiction, jamais prendre deux choses ensemble.
Ces trois piliers ont été critiqués :
- L'ordre : les scientifiques se sont rendus compte que le désordre existait aussi. L'ordre naissait à partir du désordre et inversement.
- La séparabilité, notion qui ne peut concevoir que l'on puisse s'intéresser à un domaine et en complémentaire établir des relations entre les différents éléments. Critique de la relation observateur - observation, l'un va forcément influer sur l'autre.
- La raison. Grâce à l'induction et à la déduction, nous pouvons découvrir des choses. Gödel, théorème d'incomplétude, l'induction, la déduction, l'identité ne peuvent être la preuve absolue.
La pensée complexe
3 théories :
- L'information : outil de traitement de l'incertitude
- La théorie de la cybernétique : A agit sur B et B agit sur A.
Rétroaction : Négative : permet l'homéostasie - Positive : effet amplificateur
Rétroaction : Négative : permet l'homéostasie - Positive : effet amplificateur
- La théorie des systèmes, le tout est plus que la somme des parties, mais le tout est également moins que la somme des parties.
A ces trois théories va s'ajouter le concept d'auto-organisation.
E. Morin a ajouté trois principes :
- Principe dialogique : unir des notions antagonistes pour penser des processus organisateurs productifs et créateurs dans le monde de la pensée complexe.
- Principe de récursion : dépasse la notion de feed back, un sujet est issus d'un système de reproduction et, il est lui-même un système de reproduction
- Principe hologrammatique : la partie est dans le tout et le tout est dans la partie.
Conclusion
A partir du désordre, la pensée complexe est capable de relier.
Ouverture
Dans la pensée complexe, on a cru pendant longtemps qu'il y avait un observateur qui était en dehors du système qu'il regardait. La cybernétique a été de dire qu'on regardait avec une théorie, l'observateur fait parti de ce qu'il observe. En clinique, c'est d'une importance capitale, les premiers systémiciens pensaient qu'ils observaient la famille, hors ils observaient l'intervenant et la famille à partir de la glace sans teint.
Dans le système, il y a des entrées d'informations et des sorties, les modifications, la rétroaction. Un système humain ne peut pas être isolé de son environnement, il est sujet à des processus de transformation, perpétuel va et vient d'informations.
Système à transaction psychotique, famille avec un psychotique. Il y a peu d'entrées et de sorties d'informations, système fermé, rigide, il ne va pas de transformation.
Systèmes qui sont, à la fois, régulés et auto-régulés. L'être humain est lui-même un processus auto-régulé.
Système vivant / système artificiel
Pendant longtemps, les systèmes étaient comparés à des machines. Le système trivial, la machine artificielle, telle que Descartes la décrivit, était en système clos, elle obéit à un programme mais elle ne peut intégrer ou tolérer le désordre. La machine est vouée à une tâche spécialisée. S'il y a une altération quelconque, elle va tomber en panne, donc elle va nécessiter l'intervention d'un spécialiste = pensée médicale, on peut réparer.
L'idée de la pensée complexe est que l'on travaille sur un système ouvert en relation avec son environnement. Un système vivant est toujours connecté à un environnement. Un élément peut se dégrader mais en même temps se régénérer. Le programme s'inscrit dans la stimulation d'un contexte adapté. Le système vivant va s'adapter au désordre, le désordre est intégré. Les systèmes vivants sont fragiles mais inventifs et capables de s'autogénérer. Ils ne tombent pas en panne mais traversent des crises, ces crises sont nécessaires à leur évolution et à leur adaptation. Le système vivant ne se casse pas mais est susceptible de mourir. Ils sont soumis à deux systèmes différents ; un système biologique, cycle vital, temps évolutif. Comme l'homme est capable de se représenter l'éternité, il y a toujours le système symboliquequi est en concurrence avec le système biologique.
Le premier principe est celui de l'interaction et de l'interdépendance : chaque élémnet tire son informaiton des autres éléments et agit sur eux. Pour comprendre un élément, il faut le considérer dans le contexte avec lequel il interagit.
Le principe de totalité : lorsqu'il y a un regroupement d'éléments, la logique de groupe constituée prime sur celle de chaque élément qui le compose.
Le principe de rétroaction : appelé aussi feed back ou causalité circulaire : l'effet B produit par A agit en retour sur la cause A qui l'a produite. Deux types de causalités :
- Une linéaire, A produit B où B est causé par A. La plupart de nos raisonnements sont de la causalité linéaire.
- La causalité circulaire, A a un effet sur B qui a un effet sur C qui a un effet sur A. L'effet a une rétroaction causale. Tout est en feed back dans l'interaction humaine.
Feed back positif : la rétroaction amplifie la différence, apporte du changement
La négative est au service du statut quo, de la stabilité.
Pour que les systèmes soient équilibrés, il faut les deux. Concept relié au principe d'homéostasie.
- Une linéaire, A produit B où B est causé par A. La plupart de nos raisonnements sont de la causalité linéaire.
- La causalité circulaire, A a un effet sur B qui a un effet sur C qui a un effet sur A. L'effet a une rétroaction causale. Tout est en feed back dans l'interaction humaine.
Feed back positif : la rétroaction amplifie la différence, apporte du changement
La négative est au service du statut quo, de la stabilité.
Pour que les systèmes soient équilibrés, il faut les deux. Concept relié au principe d'homéostasie.
Le principe d'homéostasie : lorsqu'un système subit une legere transformation (d'origine interne ou externe), il a tendance à revenir à son état antérieur. Equilibre entre les deux tendances. Equilibre dynamique qui permet de se transformer tout en restant le même. Il y a toujours un effort qui tend vers l'homéostasie.
Le principe d'équifinalité : on peut obtenir un résultat identique à partir de coordinations initiales différentes et en empruntant un chemin différent. Une pathologie peut être d'une condition initiale différente.
Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 2000
Boris Cyrulnik, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 2000
Tous ces principes de base ont à faire avec la clinique.
Conséquences méthodologiques
Approche psychanalytique
|
Approche systémique
|
Champ d'observation
|
Observation élargie
|
- l'individu
- ses déficits - ses symptômes |
Environnement, écosystème
/ Contexte : espace / temps Hierarchie Structure interactionnelle Dynamique du changement |
Evaluation
Diagnostic
Recherche des causes Anamnèse |
Pronostic
Recherche du comment Recueil d'informations |
Hypothèses
Causalité linéaire
A --> B Pourquoi ? De quoi c'est fait ? |
Causalité circulaire
A C <-- B A quoi ça sert ? |
Objectifs
Supprimer le symptôme
Soigner |
Mobiliser les ressources et les compétences
|
La démarche va être tout à fait différente. Il va avoir une méthodologie clinique totalement différente qui va s'appuyer sur trois grands axes :
- L'exploration et le pilotage du contexte
L'exploration : la situation va d'abord être explorée, puis les acteurs concernés par la situation vont être rencontrés
Pilotage : délimitation des sous-systèmes d'intervention. Est-ce que le travail va se faire avec les parents, la classe, le juge... Le cadre doit être posé, ainsi que les règles explicites du travail, puis définir son rôle dans la situation et qualifier sa relation (en utilisant le 'je').
L'exploration : la situation va d'abord être explorée, puis les acteurs concernés par la situation vont être rencontrés
Pilotage : délimitation des sous-systèmes d'intervention. Est-ce que le travail va se faire avec les parents, la classe, le juge... Le cadre doit être posé, ainsi que les règles explicites du travail, puis définir son rôle dans la situation et qualifier sa relation (en utilisant le 'je').
- Travailler sur l'interaction : évaluer les modes d'échange, les aspects fonctionnels et disfonctionnels, et les aspects symboliques. Favoriser l'interactivité, le partenariat, ne pas accuser. Construire la demande ensemble en définissant le problème.
- Le problème est le changement. Innovation dans les modes de communication. Connoter positivement la démarche des gens.
BECHILLON D, Les défis de la complexité : vers un nouveau paradigme de la connaissance ?, L'Harmattan, 1994
BIANCHI F, Le fil des idées : une éco-biographie intellectuelle d'Edgar Morin, Seuil, 2001
DUPUY J-P, Ordres et désordres : enquête sur un nouveau paradigme, Seuil, 1990
FORTIN R, Comprendre la complexité. Introduction à la méthode d'Edgar Morin, L'Harmattan, 2002
MORIN E, Mes démons, Stock, 1998
MORIN E, La complexité humaine, Flammarion, 1998
TOURAINE A, Un nouveau paradigme : pour comprendre le monde d'aujourd'hui, L.G.F., 2006
VIANELLO M, CARAMAZZA E, Un nouveau paradigme pour les sciences sociales : genre, espace, pouvoir, L'Harmattan, 2003
Leçon 116. Le paradigme de la complexité
L’intellect est un outil fait pour l’analyse, fait pour distinguer vrai/faux, séparer ce qui est mélangé, discriminer entre le réel et l’illusoire. L’usage coupant de l’intellect est prompt à ériger des oppositions duelles et à marquer des séparations brutales. L’intellect rationalise dans la dualité et il aime les séparations tranchées. L’intellect n’a bien sûr pas un lien absolument nécessaire avec cette forme de modèle qui a fait le succès du savoir en occident, l’approche objective de la connaissance. L’histoire de l’occident est une chose, la structure du mental en est une autre. Cependant, on ne peut pas ne pas remarquer que l’approche objective de la connaissance est tout de même un mode de pensée assez singulier qui tend à opposer le sujet et l’objet. De même, il est patent, que l’état actuel de notre savoir se trouve dans une extrême fragmentation. La segmentation de nos disciplines en sous disciplines et l’état actuel de non-communication des sciences entre elles, est en étroite relation avec un mode de pensée fragmentaire qui provient directement de l’usage coupant de l’intellect. La pratique de l’érudition, comme modèle d’étude universitaire, procède du même esprit. Le commentarisme consiste à disséquer une œuvre dans ses moindres éléments.
Or, une pensée qui sépare, oppose, disjoint, procède à des simplifications abusives en érigeant des oppositions abstraites, qui ne se rencontrent pas dans le réel. Une pensée compartimentée, qui ne communique avec rien d’autre qu’elle-même, prend le risque de s’appauvrir et d’être incapable d’embrasser la complexité du réel. Elle peut se figer en doctrine, en théorie, en idéologie. Elle risque de ne plus pouvoir relier ce qu’elle a séparé ; de perdre toute faculté de synthèse, de ne pas pouvoir voir être fécondée par un point de vue différent du sien. Percevoir la complexité, c’est assumer la contradiction, appréhender une unité qui ne nie pas les différences, mais s’en nourrit. C’est dépasser la mutilation du savoir trop ésotérique et le cloisonnement stérile de l’hyperspécialisation. Le sens de l’analyse, nous n’avons pas à faire beaucoup d’effort pour la développer. Par contre, le sens de la complexité s’apprend et nécessite même une réforme de la pensée. Tel est le projet de l’œuvre d’Edgar Morin qui tourne autour d’une seule question : comment pouvons pouvons-nous appréhender la complexité du réel sans la réduire?
Ce que nous devons envisager, c’est la nécessité de dépasser le cloisonnement du savoir. Ce qui est latent dans ce problème, c’est l’aptitude de la pensée à tout à la fois recevoir la complémentarité de point de vue différent, et ainsi de dépasser les contradictions artificielles. Il n’est cependant pas certain que cela puisse être obtenu seulement par les efforts de la pensée, car c’est bel et bien le réel qui est complexe, parce qu’il est en définitive paradoxal. Peut-on, au moyen du paradigme de la complexité approcher le paradoxal ?
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A. Ordre, désordre et complexité
Le terme latin complexus signifie tissé ensemble. Le terme de complexité renvoie à un entrelacement inaperçu sous-jacent à l’apparition d’un phénomène. C’est un peu comme le tapis qui présente sur sa texture visible une image colorée aisément identifiable, mais qui est le résultat de l’entrelacement d’un grand nombre de fibres et d’un tissage subtil qui lui n’est pas évident au regard. L’image du tapis est simple, l’entrelacement lui est complexe. En informatique nous avons un autre exemple du même type. L’interface entre l’utilisateur et la machine est très simple. Cependant, derrière chaque petite icône sur l’écran, il y a un dispositif énorme de programmes d’une grande complexité. L’effort du programmeur est de cacher au maximum la tuyauterie et de ne laisser paraître que la simplicité des commandes, simplicité qui dissimule la grande complexité des programmes.
---------------1) Dans l’idée de complexité il y a l’idée que des liens existent entre les éléments d’un Tout bel et bien réel, qui se trouve donc être un système. Or la démarche naturelle de l’intellect va dans la recherche des parties, du simple, comme élément dernier d’un composé. L’eau est analysée en chimie sous la formule H²O, deux molécules d’hydrogène, une molécule d’oxygène. Hydrogène et oxygène sont les composants simples d’une structure plus complexe qui est l’eau que nous rencontrons dans le réel à l’état liquide, solide ou gazeux. La démarche analytique est extrêmement efficace. Son territoire n’est rien d’autre que la totalité des sciences depuis la modernité. La démarche analytique a fait tout le succès des sciences de la nature. Et les sciences humaines lui ont emboîté le pas au XIXème siècle. (texte)
Elle a cependant un revers, elle taille, coupe, sépare, décompose, ce qui dans le réel est étroitement uni et jamais disjoint, elle tend dans son explication à simplifier les processus du réel. Elle ne parle pas de l’organisation du réel, de la dynamique vivante de son auto-organisation, elle ne donne aucune clé de l’unité, elle ne raisonne jamais en terme d’interactions et elle ne peut que très laborieusement supposer une « synthèse » abstraite et reconstruite de ce qu’elle a séparé. Elle est surarmée pour disjoindre, distinguer, elle est parfaitement démunie pour relier et réunir ce qu’elle a d’abord séparé. Elle est plus à l’aise dans ce qui est distingué, isolé, limité, que dans ce qui est relié, vaste et global. Elle n’a tout simplement pas le sens de la complexité de ce qui est. De fait, le concept même d’explication scientifique est analytique. C’est devenu un lieu commun par exemple que de dire de la biologie qu’elle est beaucoup plus à l’aise avec l’analyse de cellules mortes en laboratoire, qu’avec l’observation de l’individualité vivante dans son milieu naturel. Penchant de l’analyse. Ce qui se reflète encore très largement dans l’enseignement scolaire. Il suffit d’ouvrir un manuel de biologie de terminale pour le constater directement.
Le modèle de l’approche analytique, nous le rencontrons chez Descartes, dans l’énoncé même des règles contenues dans le Discours de la Méthode. Descartes y montre que la pensée rigoureuse doit décomposer son objet en autant de partie qu’il en faudra pour le résoudre. Elle doit faire des dénombrements entiers ne rien omettre et ne se fier qu’aux idées claires et distinctes qui ont été posées par l’analyse. C’est à ce type de rigueur intellectuelle que nous pensons quand nous parlons d’esprit cartésien. Mais l’analyse est aussi précise qu’elle est myope.
Si on décompose le tout, on peut effectivement y trouver bien des éléments simples, mais immédiatement, on perd le fonctionnement de la totalité et le sens de l’organisation. Or la configuration des éléments n’est jamais indifférente et l’intensité, la richesse et la diversité des relations ne le sont pas davantage. La totalité et l’organisation échappent à l’analyse, car elles ne se rencontrent que dans l’intuition d’une complexité qui n’est pas et ne peut pas être analytique. Il faut bien à un moment que l’on est un regard plus enveloppant, il faut affronter la complexité et admettre alors qu’il est impossible de saisir une partie sans embrasser le Tout. C’est une maxime célèbre de Pascal dans les Pensées. Or il semble que la science moderne ait bien plutôt pris le parti de la décomposition contre l’appréhension globale.
La Modernité a occulté Pascal, au profit de Descartes. (texte) L’introduction d’une approche globale débouche sur des interrogations que ne peut pas résoudre l’approche analytique. Le paradigme mécaniste de la science, fort de ses succès, alimentait la croyance dans des certitudes fondamentales et définitives. On a par exemple cru au XIXème siècle que la physique était achevée. A l’inverse, le paradigme de la complexité nous met devant l’incertitude. Il soulève des questions inédites, des questions oubliées, qui n’étaient même pas formulables autrefois. Et nous savons que nos réponses scientifiques sont à jamais révisables. Au siècle du positivisme Marcellin Berthelot pouvait écrire sur un ton très sérieux : « Désormais, le monde est sans mystère » ! Ce genre de formule prête aujourd’hui à rire. Le paradigme de la complexité n’a pas cette prétention, ou plutôt il affirme carrément qu’il n’y a pas de certitude scientifique et qu’il est même inutile d’en chercher !
Que s’est-il donc passé entre temps ? Depuis les années 1950, une lame de fond a émergé dans la représentation scientifique dont la dynamique tient à une nouvelle forme de pensée, la pensée systémique. (Il est vivement conseillé sur ce sujet de lire le petit chef-d’œuvre de Joël de Rosnay Le Macroscope). La naissance de la cybernétique, qui en a été l’initiatrice, a eu un impact considérable dont nous commençons seulement maintenant à saisir toutes les implications. Dans la foulée, le développement de nouveaux outils mathématiques, l’empire grandissant de la modélisation informatique, la recherche sur l’intelligence artificielle, la virtualisation des systèmes dynamiques et la mutation radicale des grandes théories physiques, en rupture avec la physique héritée de Newton, exigent une révision complète de notre représentation du monde. Le travail de pionnier d’Edgar Morin recueille cet héritage et montre avec quels nouveaux outils, nous sommes désormais en mesure de mieux affronter la complexité du réel. (cf. La Complexité humaine)
2) L’apparition du paradigme de la complexité est née partir d’une crise qui a conduit le paradigme de la science classique. Selon Edgar Morin, c’est d’abord la découverte de l’irréductibilité du désordre dans l’univers des sciences physiques qui a ébranlé l’édifice de la représentation simplifiante de la physique classique. Et tout d’abord, l’irruption de l’indétermination en microphysique, et les développements renversants de la théorie quantique. Heisenberg et Bohr ont montré que dans l’infiniment petit, le déterminisme cessait de valoir, comme il vaut dans l’univers des objets que nous rencontrons à l’échelle de la vigilance quotidienne. Au niveau le plus subtil de la matière, il ne saurait être question de parler de choses situées dans l’espace et dans le temps. Il n’y a que des probabilités d’événements au sein d’un bouillonnement d’énergie en mouvement continuel. Plus de lois « simples ». Plus d’éléments « simples ». L’atome, le simple par excellence, sous la forme de l’insécable que l’on cherchait en physique, s’est révélé lui-même complexe. Et c’est la recherche de l’élément simple qui a finit par sembler simpliste. L’énergie fondamentale de la matière semble animée d’une fluctuation chaotique où il serait vain de rechercher cet ordre géométrique qui suscitait l’admiration des modernes. Exit donc Descartes et Newton et la volonté totalitaire d’enfermer le réel dans un déterminisme absolu.
Dans un hymne très ancien du Rig Veda, adressé au Soi suprême, il est dit :
3. Au Commencement, les ténèbres étaient enveloppées de ténèbres; l'eau se trouvait sans impulsion. Tout était confondu. L'être reposait au sein de ce chaos, et ce grand Tout naquit par la force de son Ardeur (tapas).
Elle a cependant un revers, elle taille, coupe, sépare, décompose, ce qui dans le réel est étroitement uni et jamais disjoint, elle tend dans son explication à simplifier les processus du réel. Elle ne parle pas de l’organisation du réel, de la dynamique vivante de son auto-organisation, elle ne donne aucune clé de l’unité, elle ne raisonne jamais en terme d’interactions et elle ne peut que très laborieusement supposer une « synthèse » abstraite et reconstruite de ce qu’elle a séparé. Elle est surarmée pour disjoindre, distinguer, elle est parfaitement démunie pour relier et réunir ce qu’elle a d’abord séparé. Elle est plus à l’aise dans ce qui est distingué, isolé, limité, que dans ce qui est relié, vaste et global. Elle n’a tout simplement pas le sens de la complexité de ce qui est. De fait, le concept même d’explication scientifique est analytique. C’est devenu un lieu commun par exemple que de dire de la biologie qu’elle est beaucoup plus à l’aise avec l’analyse de cellules mortes en laboratoire, qu’avec l’observation de l’individualité vivante dans son milieu naturel. Penchant de l’analyse. Ce qui se reflète encore très largement dans l’enseignement scolaire. Il suffit d’ouvrir un manuel de biologie de terminale pour le constater directement.
Le modèle de l’approche analytique, nous le rencontrons chez Descartes, dans l’énoncé même des règles contenues dans le Discours de la Méthode. Descartes y montre que la pensée rigoureuse doit décomposer son objet en autant de partie qu’il en faudra pour le résoudre. Elle doit faire des dénombrements entiers ne rien omettre et ne se fier qu’aux idées claires et distinctes qui ont été posées par l’analyse. C’est à ce type de rigueur intellectuelle que nous pensons quand nous parlons d’esprit cartésien. Mais l’analyse est aussi précise qu’elle est myope.
Si on décompose le tout, on peut effectivement y trouver bien des éléments simples, mais immédiatement, on perd le fonctionnement de la totalité et le sens de l’organisation. Or la configuration des éléments n’est jamais indifférente et l’intensité, la richesse et la diversité des relations ne le sont pas davantage. La totalité et l’organisation échappent à l’analyse, car elles ne se rencontrent que dans l’intuition d’une complexité qui n’est pas et ne peut pas être analytique. Il faut bien à un moment que l’on est un regard plus enveloppant, il faut affronter la complexité et admettre alors qu’il est impossible de saisir une partie sans embrasser le Tout. C’est une maxime célèbre de Pascal dans les Pensées. Or il semble que la science moderne ait bien plutôt pris le parti de la décomposition contre l’appréhension globale.
La Modernité a occulté Pascal, au profit de Descartes. (texte) L’introduction d’une approche globale débouche sur des interrogations que ne peut pas résoudre l’approche analytique. Le paradigme mécaniste de la science, fort de ses succès, alimentait la croyance dans des certitudes fondamentales et définitives. On a par exemple cru au XIXème siècle que la physique était achevée. A l’inverse, le paradigme de la complexité nous met devant l’incertitude. Il soulève des questions inédites, des questions oubliées, qui n’étaient même pas formulables autrefois. Et nous savons que nos réponses scientifiques sont à jamais révisables. Au siècle du positivisme Marcellin Berthelot pouvait écrire sur un ton très sérieux : « Désormais, le monde est sans mystère » ! Ce genre de formule prête aujourd’hui à rire. Le paradigme de la complexité n’a pas cette prétention, ou plutôt il affirme carrément qu’il n’y a pas de certitude scientifique et qu’il est même inutile d’en chercher !
Que s’est-il donc passé entre temps ? Depuis les années 1950, une lame de fond a émergé dans la représentation scientifique dont la dynamique tient à une nouvelle forme de pensée, la pensée systémique. (Il est vivement conseillé sur ce sujet de lire le petit chef-d’œuvre de Joël de Rosnay Le Macroscope). La naissance de la cybernétique, qui en a été l’initiatrice, a eu un impact considérable dont nous commençons seulement maintenant à saisir toutes les implications. Dans la foulée, le développement de nouveaux outils mathématiques, l’empire grandissant de la modélisation informatique, la recherche sur l’intelligence artificielle, la virtualisation des systèmes dynamiques et la mutation radicale des grandes théories physiques, en rupture avec la physique héritée de Newton, exigent une révision complète de notre représentation du monde. Le travail de pionnier d’Edgar Morin recueille cet héritage et montre avec quels nouveaux outils, nous sommes désormais en mesure de mieux affronter la complexité du réel. (cf. La Complexité humaine)
2) L’apparition du paradigme de la complexité est née partir d’une crise qui a conduit le paradigme de la science classique. Selon Edgar Morin, c’est d’abord la découverte de l’irréductibilité du désordre dans l’univers des sciences physiques qui a ébranlé l’édifice de la représentation simplifiante de la physique classique. Et tout d’abord, l’irruption de l’indétermination en microphysique, et les développements renversants de la théorie quantique. Heisenberg et Bohr ont montré que dans l’infiniment petit, le déterminisme cessait de valoir, comme il vaut dans l’univers des objets que nous rencontrons à l’échelle de la vigilance quotidienne. Au niveau le plus subtil de la matière, il ne saurait être question de parler de choses situées dans l’espace et dans le temps. Il n’y a que des probabilités d’événements au sein d’un bouillonnement d’énergie en mouvement continuel. Plus de lois « simples ». Plus d’éléments « simples ». L’atome, le simple par excellence, sous la forme de l’insécable que l’on cherchait en physique, s’est révélé lui-même complexe. Et c’est la recherche de l’élément simple qui a finit par sembler simpliste. L’énergie fondamentale de la matière semble animée d’une fluctuation chaotique où il serait vain de rechercher cet ordre géométrique qui suscitait l’admiration des modernes. Exit donc Descartes et Newton et la volonté totalitaire d’enfermer le réel dans un déterminisme absolu.
Dans un hymne très ancien du Rig Veda, adressé au Soi suprême, il est dit :
3. Au Commencement, les ténèbres étaient enveloppées de ténèbres; l'eau se trouvait sans impulsion. Tout était confondu. L'être reposait au sein de ce chaos, et ce grand Tout naquit par la force de son Ardeur (tapas).
Et bien, il semble que la nouvelle physique en soit venue à réhabiliter ce Chaos primordial. L’univers de la physique nouvelle n’est pas l’horloge bien rodée, réglée une fois pour toute, du paradigme mécaniste. Le déterminisme de Laplace est un mythe. Le champ unifié d’où émergent les particules élémentaires, selon la physique quantique, est une potentialité infinie et l’ordre macroscopique que nous rencontrons dans l’univers jaillit d’une fluctuation rebelle à toute prévision. Heisenberg a montré qu’il est impossible de connaître précisément à la fois la position et la vitesse d'une particule à un moment donné. Cette incertitude heurtait de front l’ancienne conception de Laplace, selon laquelle la connaissance de la position et de la vitesse d’un corps, à un moment donné, permettrait la prédiction de leur position au moment suivant. Les inégalités d'Heisenberg montrent que des variables comme la position et la vitesse, ou encore énergie et la position, ne peuvent pas être déterminées simultanément. La théorie quantique introduit un flou probabiliste dans toute mesure.
La théorie du chaos, désormais très en vogue dans la nouvelle physique, généralise cette hypothèse de flou probabiliste et introduit directement une nouvelle approche qui n’est rien d’autre que le modèle de la complexité. (Voir à ce sujet Prigogine et Stengers La Nouvelle alliance, livre II, p.165 sq.). La théorie du chaos implique, comme Poincarré l’avait déjà compris, ce que l’on appelle en physique une sensibilité critique aux conditions initiales". Ce qui veut dire qu’une "cause très petite qui nous échappe détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas voir, et alors nous disons que c'est l'effet du hasard […]. Il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux. La prédiction devient impossible." Cela s’appelle l’effet papillon.Au niveau de la météorologie, par exemple, nous savons que notre planète fonctionne comme un système complexe et même comme un système vivant en interaction constante et dynamique. Selon la théorie du chaos, la propagation d’une fluctuation minimale peut retentir dans la totalité du système qui devient dès lors imprévisible. Ce qui veut aussi dire qu’il ne s’agit pas de tout expliquer par l’aléatoire ou l'arbitraire d’un dieu chaos. Les développements de la thermodynamique ont plutôt conduit à la découverte de la complémentarité des notions d’ordre et de désordre en physique.
Désormais, on ne peut plus éliminer le désordre de la physique. Y compris de la cosmologie. Einstein, le dernier, a tenté de restaurer l’idée d’un univers stable et ordonné, en introduisant une constante cosmologique, alors même que ses équations le menaient directement à l’idée d’un univers instable et en devenir. La découverte de Hubble du fond de rayonnement de la naissance de l’univers a fait éclater les dernières tentatives de sauver l’image d’un univers bloc. Elle a conduit à la résurrection de l’idée du Devenir d’un cosmos singulier qui n’a plus rien à voir avec la représentation de l’univers de Newton qui gouvernait toute la physique classique. Sur ce point, Prigogine rend un hommage appuyé à Bergson. Bergson avait développé dans son œuvre l’idée que le Temps est en son essence même création imprévisible, création de nouveauté, et pas seulement changement dans répétition. La vision de la nouvelle physique autorise une interprétation de la durée comme création imprévisible, parce qu’elle admet l’irréductibilité du désordre.
La notion de hasard occupe donc une place importante dans la nouvelle physique, mais ce qui est très nouveau, c’est que la reconnaissance du hasard est en réalité une mise en demeure du paradoxal et une leçon sur l’incertitude de la représentation scientifique. Selon le mathématicien Chaïtin, nous ne pouvons même pas prouver si ce qui nous semble hasard n’est pas dû à notre ignorance. Edgar Morin commente : « ainsi, d’une part, nous devons constater que le désordre et l’ordre son présent dans l’univers actif et son évolution, d’autre part, nous ne pouvons résoudre l’incertitude qu’apportent les notions de désordre et de hasard ; le hasard lui-même n’est pas certain d’être hasard. L’incertitude demeure, y compris en ce qui concerne la nature de l’incertitude que nous apporte le hasard ». (texte)
La théorie du chaos, désormais très en vogue dans la nouvelle physique, généralise cette hypothèse de flou probabiliste et introduit directement une nouvelle approche qui n’est rien d’autre que le modèle de la complexité. (Voir à ce sujet Prigogine et Stengers La Nouvelle alliance, livre II, p.165 sq.). La théorie du chaos implique, comme Poincarré l’avait déjà compris, ce que l’on appelle en physique une sensibilité critique aux conditions initiales". Ce qui veut dire qu’une "cause très petite qui nous échappe détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas voir, et alors nous disons que c'est l'effet du hasard […]. Il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux. La prédiction devient impossible." Cela s’appelle l’effet papillon.Au niveau de la météorologie, par exemple, nous savons que notre planète fonctionne comme un système complexe et même comme un système vivant en interaction constante et dynamique. Selon la théorie du chaos, la propagation d’une fluctuation minimale peut retentir dans la totalité du système qui devient dès lors imprévisible. Ce qui veut aussi dire qu’il ne s’agit pas de tout expliquer par l’aléatoire ou l'arbitraire d’un dieu chaos. Les développements de la thermodynamique ont plutôt conduit à la découverte de la complémentarité des notions d’ordre et de désordre en physique.
Désormais, on ne peut plus éliminer le désordre de la physique. Y compris de la cosmologie. Einstein, le dernier, a tenté de restaurer l’idée d’un univers stable et ordonné, en introduisant une constante cosmologique, alors même que ses équations le menaient directement à l’idée d’un univers instable et en devenir. La découverte de Hubble du fond de rayonnement de la naissance de l’univers a fait éclater les dernières tentatives de sauver l’image d’un univers bloc. Elle a conduit à la résurrection de l’idée du Devenir d’un cosmos singulier qui n’a plus rien à voir avec la représentation de l’univers de Newton qui gouvernait toute la physique classique. Sur ce point, Prigogine rend un hommage appuyé à Bergson. Bergson avait développé dans son œuvre l’idée que le Temps est en son essence même création imprévisible, création de nouveauté, et pas seulement changement dans répétition. La vision de la nouvelle physique autorise une interprétation de la durée comme création imprévisible, parce qu’elle admet l’irréductibilité du désordre.
La notion de hasard occupe donc une place importante dans la nouvelle physique, mais ce qui est très nouveau, c’est que la reconnaissance du hasard est en réalité une mise en demeure du paradoxal et une leçon sur l’incertitude de la représentation scientifique. Selon le mathématicien Chaïtin, nous ne pouvons même pas prouver si ce qui nous semble hasard n’est pas dû à notre ignorance. Edgar Morin commente : « ainsi, d’une part, nous devons constater que le désordre et l’ordre son présent dans l’univers actif et son évolution, d’autre part, nous ne pouvons résoudre l’incertitude qu’apportent les notions de désordre et de hasard ; le hasard lui-même n’est pas certain d’être hasard. L’incertitude demeure, y compris en ce qui concerne la nature de l’incertitude que nous apporte le hasard ». (texte)
B. Complexité et auto-organisation
La complémentarité de l’ordre et du désordre, la présence dans le réel d’une corrélation des événements, la récurrence des processus, nous montrent à quel point même les phénomènes physiques se comportent comme intégrés dans un système et nous obligent à aborder la complexité du réel sous l’angle de l’organisation.
Dans la représentation classique des sciences, la question de l’organisation était plutôt dévolue à la biologie. S’il est bien une chose que nous pouvons difficilement remettre en question, c’est le caractère admirable de la puissance d’organisation du vivant. On peut ignorer l’auto-organisation au sein de la matière, - ce n’est que depuis peut que la question a été sérieusement étudiée. On peut continuer à regarder les sociétés humaines en faisant abstraction de leur fonctionnement global - nous sommes très lent à comprendre que la pensée systémique ne concerne pas seulement la compréhension de la Nature. Mais tout de même, l’auto-développement du vivant nous met de manière éclatante sous les yeux le problème de l’auto-organisation, problème que le paradigme mécaniste n’a jamais vraiment su résoudre. Il est assez remarquable par exemple que la question de l’auto-référence n’est envisagée chez les philosophes que sous l’angle de la biologie. L’émergence du paradigme de la complexité renouvelle de manière assez remarquable la question de l’auto-organisation.
---------------1) Selon Edgar Morin, la découverte de la singularité dans les sciences naturelles et la transgression des limites de l’abstraction universaliste sont déjà des avancées dans cette direction. Par abstraction universaliste, on peut entendre le concept moderne qui voit dans le savoir scientifique une visée de l’universel au sens strict, en ne prenant pas en compte la singularité, la localité et la temporalité. Pour le positivisme du XIXème siècle, par exemple, l’histoire, jugée à l’aune de la physique de Newton, est une discipline qui restait immature, parce qu’elle ne pouvait pas produire un ordre de généralité élevé, des lois positives, une théorie abstraite. Elle était irréductiblement une connaissance de la singularité des événements. Située dans l’espace et dans le temps elle ne parvenait pas à composer un savoir de type universel. Le sous-entendu implicite est donc qu’un savoir ne mérite le titre de science que s’il constitue une théorie abstraite et universelle qui résorbe la singularité.
On peut dire que le paradigme de la complexité retourne de fond en comble ce point de vue précisément contre les sciences de la Nature. La singularité est la réalité même, elle est omniprésente et impossible à réduire. Elle une synthèse de l’universel et du particulier et le statut de toute existence organisée, que ce soit sur le plan de la matière, du vivant où dans le champ anthropologique. Je cite Edgar Morin : « la biologie actuelle ne conçoit plus du tout l’espèce comme un cadre général dont l’individu est un cas singulier. Elle conçoit l’espèce vivante, comme une singularité qui produit des singularités. La vie elle-même est une organisation singulière parmi les types d’organisation physico-chimiques existants. Plus encore, les découvertes de Hubble sur la dispersion des galaxies et la découverte du rayonnement isotope venant de tous les horizons de l’univers ont amené la résurrection d’un cosmos singulier qui aurait une histoire singulière où surgirait notre propre histoire singulière ». Non seulement donc l’histoire n’a pas à dépasser la singularité qu’elle découvre, mais c’est l’ensemble des sciences qui doit accepter justement la singularité de leur objet. La transgression de l’abstraction universaliste implique aussi que l’on reconnaisse la localité et la temporalité à l’intérieur des sciences. Ce qui implique par exemple que la physique prend en compte la dynamique du Temps dans l’univers, ce qui n’entrait pas dans ses préoccupations dans son paradigme mécaniste classique. L’historicité en effet n’entrait pas en compte dans la représentation des sciences de la Nature du XIXème siècle. (texte)
2) A partir du moment où la problématique de la singularité revient au premier plan, se pose la question de son unité fondamentale. Ce qui est aussi très nouveau et qui constitue une véritable remise en question de la science classique, c’est la découverte de la complexité de la notion d’organisation. Le propre d’une explication analytique est de décomposer un processus dans ses éléments simples et d’avoir illico tendance à ne concevoir l’organisation que comme une somme, une agrégation des parties. C’est un peu la logique du bricoleur qui démontre l’horloge dans ses rouages et ne voient avant tout dans l’horloge l’ajustement d’une somme de pièces, de parties, dans des mécanismes, plutôt qu’un tout dont l’organisation est première. La pensée systémique introduit un point de vue en admettant délibérément l’existence de fait du tout, et de son fonctionnement global et elle permet comprendre en quoi consiste le processus de l’organisation. Il n’existe pas dans l’univers d’entité séparée. La séparation est une illusion. Toute existence prend place dans un système. Le tout n’existe que par rapport à des parties et les parties n’existent que par rapport à un tout et cela à tous les niveaux d’existence : depuis l’infiniment petit de la matière, à l’infiniment grand de la matière, l’univers, au niveau du vivant, de l’interaction des vivants entre eux, et au niveau de la société humaine, dans l’intrication relationnelle de toute société et celle des différentes sociétés entre elles.
Un des paradoxes de l’organisation, c’est d’abord qu’en elle, le tout peut être moins que la somme de ses parties : l’organisation a tendance à inhiber l’initiative individuelle, à instaurer des contraintes et des limites, à imposer son inertie. La conscience collective, au niveau social par exemple, a un poids qui pèse sur les virtualités libres de chacun. L’Etat est une structure dont la lourdeur a été souvent soulignée. En même temps, le tout est aussi plus que la somme de ses parties « parce qu’il fait surgir des qualités qui n’existaient pas sans cette organisation, ces qualités sont ‘émergentes’ c’est-à-dire qu’elles sont constatables empiriquement, sans être déductibles logiquement… Ainsi, nous voyons bien comment l’existence d’une culture, d’un langage, d’une éducation, d'une propriété qui ne peuvent exister qu’au niveau du tout social, reviennent sur les parties pour permettre le développement de l’esprit et de l’intelligence des individus ». Une organisation n’est jamais statique, - si tant est d’ailleurs qu’il puisse y avoir quelque chose de statique dans le monde relatif ! - et elle repose sur une tension des antagonismes qu’elle produit et qu’elle contient. L’antagonisme, jouant son rôle peut devenir aussi complémentarité, sans que nous ne puissions jamais prédire avec exactitude ce passage étrange du déséquilibre à l’équilibre. « Toute relation organisationnelle, donc tout système, comporte et produit de l’antagonisme en même temps que de la complémentarité. Toute relation organisationnelle nécessite et actualise un principe de complémentarité, nécessite et plus ou moins virtualise un principe d’antagonisme (...).
Dans la représentation classique des sciences, la question de l’organisation était plutôt dévolue à la biologie. S’il est bien une chose que nous pouvons difficilement remettre en question, c’est le caractère admirable de la puissance d’organisation du vivant. On peut ignorer l’auto-organisation au sein de la matière, - ce n’est que depuis peut que la question a été sérieusement étudiée. On peut continuer à regarder les sociétés humaines en faisant abstraction de leur fonctionnement global - nous sommes très lent à comprendre que la pensée systémique ne concerne pas seulement la compréhension de la Nature. Mais tout de même, l’auto-développement du vivant nous met de manière éclatante sous les yeux le problème de l’auto-organisation, problème que le paradigme mécaniste n’a jamais vraiment su résoudre. Il est assez remarquable par exemple que la question de l’auto-référence n’est envisagée chez les philosophes que sous l’angle de la biologie. L’émergence du paradigme de la complexité renouvelle de manière assez remarquable la question de l’auto-organisation.
---------------1) Selon Edgar Morin, la découverte de la singularité dans les sciences naturelles et la transgression des limites de l’abstraction universaliste sont déjà des avancées dans cette direction. Par abstraction universaliste, on peut entendre le concept moderne qui voit dans le savoir scientifique une visée de l’universel au sens strict, en ne prenant pas en compte la singularité, la localité et la temporalité. Pour le positivisme du XIXème siècle, par exemple, l’histoire, jugée à l’aune de la physique de Newton, est une discipline qui restait immature, parce qu’elle ne pouvait pas produire un ordre de généralité élevé, des lois positives, une théorie abstraite. Elle était irréductiblement une connaissance de la singularité des événements. Située dans l’espace et dans le temps elle ne parvenait pas à composer un savoir de type universel. Le sous-entendu implicite est donc qu’un savoir ne mérite le titre de science que s’il constitue une théorie abstraite et universelle qui résorbe la singularité.
On peut dire que le paradigme de la complexité retourne de fond en comble ce point de vue précisément contre les sciences de la Nature. La singularité est la réalité même, elle est omniprésente et impossible à réduire. Elle une synthèse de l’universel et du particulier et le statut de toute existence organisée, que ce soit sur le plan de la matière, du vivant où dans le champ anthropologique. Je cite Edgar Morin : « la biologie actuelle ne conçoit plus du tout l’espèce comme un cadre général dont l’individu est un cas singulier. Elle conçoit l’espèce vivante, comme une singularité qui produit des singularités. La vie elle-même est une organisation singulière parmi les types d’organisation physico-chimiques existants. Plus encore, les découvertes de Hubble sur la dispersion des galaxies et la découverte du rayonnement isotope venant de tous les horizons de l’univers ont amené la résurrection d’un cosmos singulier qui aurait une histoire singulière où surgirait notre propre histoire singulière ». Non seulement donc l’histoire n’a pas à dépasser la singularité qu’elle découvre, mais c’est l’ensemble des sciences qui doit accepter justement la singularité de leur objet. La transgression de l’abstraction universaliste implique aussi que l’on reconnaisse la localité et la temporalité à l’intérieur des sciences. Ce qui implique par exemple que la physique prend en compte la dynamique du Temps dans l’univers, ce qui n’entrait pas dans ses préoccupations dans son paradigme mécaniste classique. L’historicité en effet n’entrait pas en compte dans la représentation des sciences de la Nature du XIXème siècle. (texte)
2) A partir du moment où la problématique de la singularité revient au premier plan, se pose la question de son unité fondamentale. Ce qui est aussi très nouveau et qui constitue une véritable remise en question de la science classique, c’est la découverte de la complexité de la notion d’organisation. Le propre d’une explication analytique est de décomposer un processus dans ses éléments simples et d’avoir illico tendance à ne concevoir l’organisation que comme une somme, une agrégation des parties. C’est un peu la logique du bricoleur qui démontre l’horloge dans ses rouages et ne voient avant tout dans l’horloge l’ajustement d’une somme de pièces, de parties, dans des mécanismes, plutôt qu’un tout dont l’organisation est première. La pensée systémique introduit un point de vue en admettant délibérément l’existence de fait du tout, et de son fonctionnement global et elle permet comprendre en quoi consiste le processus de l’organisation. Il n’existe pas dans l’univers d’entité séparée. La séparation est une illusion. Toute existence prend place dans un système. Le tout n’existe que par rapport à des parties et les parties n’existent que par rapport à un tout et cela à tous les niveaux d’existence : depuis l’infiniment petit de la matière, à l’infiniment grand de la matière, l’univers, au niveau du vivant, de l’interaction des vivants entre eux, et au niveau de la société humaine, dans l’intrication relationnelle de toute société et celle des différentes sociétés entre elles.
Un des paradoxes de l’organisation, c’est d’abord qu’en elle, le tout peut être moins que la somme de ses parties : l’organisation a tendance à inhiber l’initiative individuelle, à instaurer des contraintes et des limites, à imposer son inertie. La conscience collective, au niveau social par exemple, a un poids qui pèse sur les virtualités libres de chacun. L’Etat est une structure dont la lourdeur a été souvent soulignée. En même temps, le tout est aussi plus que la somme de ses parties « parce qu’il fait surgir des qualités qui n’existaient pas sans cette organisation, ces qualités sont ‘émergentes’ c’est-à-dire qu’elles sont constatables empiriquement, sans être déductibles logiquement… Ainsi, nous voyons bien comment l’existence d’une culture, d’un langage, d’une éducation, d'une propriété qui ne peuvent exister qu’au niveau du tout social, reviennent sur les parties pour permettre le développement de l’esprit et de l’intelligence des individus ». Une organisation n’est jamais statique, - si tant est d’ailleurs qu’il puisse y avoir quelque chose de statique dans le monde relatif ! - et elle repose sur une tension des antagonismes qu’elle produit et qu’elle contient. L’antagonisme, jouant son rôle peut devenir aussi complémentarité, sans que nous ne puissions jamais prédire avec exactitude ce passage étrange du déséquilibre à l’équilibre. « Toute relation organisationnelle, donc tout système, comporte et produit de l’antagonisme en même temps que de la complémentarité. Toute relation organisationnelle nécessite et actualise un principe de complémentarité, nécessite et plus ou moins virtualise un principe d’antagonisme (...).
Un autre paradoxe de l’organisation est ce qu’Edgar Morin appelle son principe hologramatique. Pour mémoire, « l’hologramme est l’image physique dont les qualités de relief, de couleur et de présence tiennent au fait que chacun de ses points contient presque toute l’information de l’ensemble qu’elle représente ». Le principe hologramatique est utilisé par Karl Pribam pour expliquer la mémoire. Mais il peut être largement étendu à toute organisation. « Nous avons ce type d’organisation dans nos organisme biologique, chacune de nos cellules, y compris les plus modeste cellules de notre épiderme, contient l’information génétique de notre être global. Évidemment, il n’y a qu’une petite partie de cette information qui est exprimée dans cette cellule, reste étant inhibé. Dans ce sens, on peut dire non seulement que la partie est dans le tout, mais que le tout est dans la partie ». Implicitement, nous raisonnons aussi de cette manière pour ce qu’il en est du statut de l’individu en société. Chaque individu a été construit par le tout, formé par ses mythes culturels, son langage, ses traditions, son savoir. Edgar Morin prend même l’exemple assez cynique du principe théorique selon lequel nul n’est censé ignoré la loi (alors que rares sont ceux qui la connaissent que personne ne l’enseigne vraiment). Il est évident que pour rendre compte de l’organisation, il faut complètement abandonner la logique de la causalité linéaire et analytique. Il faut constamment opérer un va et vient entre le tout et la partie, selon le principe de Pascal d'après lequel la partie ne saurait se comprendre sans le tout et le tout sans la partie.
3) Le principe hologramatique, quand nous comprenons bien son immense portée, nous reconduit directement à un acquis majeur de la science nouvelle : La découverte du principe de l’auto-organisation récursive.
La science classique ne connaissait qu’une causalité linéaire. Ce n’est que tout récemment, sous l’impulsion de la cybernétique, avec Norbert Wiener, que nous avons découvert le principe extrêmement fécond de la causalité circulaire. Dans ce type de causalité, on reconnaît que l’effet revient vers la cause et la modifie. C’est précisément parce que ce principe de la rétroaction(feedback), de boucles, existe que se constitue une organisation. Le mérite de la cybernétique est d’avoir rendu complexe la relation cause-effet, par rapport à la manière dont elle était pensée auparavant. Elle a aussi permis de comprendre que la causalité n’est jamais purement mécanique, mais qu’elle est aussi nécessairement informationnelle.
Toute organisation est essentiellement auto-organisation. Plus précisément « l’organisation récursive est l’organisation dont les effets et produits sont nécessaires à sa propre causation et sa propre production. C’est très exactement le problème de l’auto-production et de l’auto-organisation. Ainsi, une société est produite par les interactions entre les individus, mais ces interactions produisent un tout organisateur lequel rétroagit sur les individus pour les coproduire en tant qu’individus humains, ce qu’ils ne seraient pas s’ils ne disposaient pas de l’éducation, du langage et de la culture ».
A lui seul ce principe ouvre un véritable chantier pour l’éducation à venir et il impose une réforme radicale de nos modes de pensée habituels. Voyez sur ce point Le Macroscope de Joël de Rosnay. Nous seulement il est indispensable pour comprendre le fonctionnement du vivant, mais il a permis d’inaugurer carrément une nouvelle science, l’écologie, et de renouveler entièrement la compréhension de l’organisation sociale, économique, politique de nos sociétés. On peut le dire sans hésitation, la pensée systémique est une véritable révolution intellectuelle. Le principe de l’auto-organisation rend obsolète tout mode de pensée fragmentaire qui met avant tout l’accent sur la séparation et l’isolement et il fait exploser les explications fondées sur la seule abstraction universaliste.
Dans la pratique, il son application se traduit par l’introduction graphique d’une représentation par macro-concepts tels que:
Antagonisme--complémentarité ┐
↑ ───────────────┘
Désorganisation--organisation ┐
↑ ───────────────┘
↑ ───────────────┘
Désorganisation--organisation ┐
↑ ───────────────┘
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Le raisonnement systémique n’est pas sous cet aspect seulement une forme de pédagogie, mais une invitation constante donnée à la pensée de percevoir les relations, les interactions, les boucles et à ne jamais isoler des processus entre eux. Apprendre à penser de manière globale.
4) L’incidence de la compréhension de l’auto-organisation, par extension, nous conduit à la découverte de la complexité des processus d’interactions biologiques et sociales. Quand on comprend que les phénomènes biologiques et les phénomènes sociaux présentent un nombre incalculable d’interactions récursives, il devient évident que toute tentative pour isoler, couper, séparer dans les phénomènes humains nous fait manquer précisément la complexité. Le paradigme de la science classique était analytique, il poussait vers la décomposition de son objet, sans induire la nécessité de rétablir les relations. Il en résulte une vision de l‘humain très fragmentaire et un savoir scientifique très compartimenté. Dans son principe même, la science complexe inaugure et promeut la transdisciplinarité. Cette déclaration programmatique en faveur de la transgression des limites est fréquente dans les textes d’E. Morin. Par exemple :
« Il faut détruire la muraille de Chine qui sépare l’anthropo-sociologie du continuent de la vie, mais cette ouverture doit sauvegarder l’originalité, l’irréductibilité, la spécificité anthropo-sociale tout en la fondant, l’enracinant, l’alimentant en vie.
Ouvrir l’anthropo-sociologie sur la vie, c’est reconnaître la pleine réalité de l’homme. C’est briser avec la vision idéaliste d’un homme sur-naturel. C’est briser avec la vision disjonctive où l’homme relève de la vie seulement par les gènes et le corps, tandis que l’esprit et la société y échappent ».
Le raisonnement systémique n’est pas sous cet aspect seulement une forme de pédagogie, mais une invitation constante donnée à la pensée de percevoir les relations, les interactions, les boucles et à ne jamais isoler des processus entre eux. Apprendre à penser de manière globale.
4) L’incidence de la compréhension de l’auto-organisation, par extension, nous conduit à la découverte de la complexité des processus d’interactions biologiques et sociales. Quand on comprend que les phénomènes biologiques et les phénomènes sociaux présentent un nombre incalculable d’interactions récursives, il devient évident que toute tentative pour isoler, couper, séparer dans les phénomènes humains nous fait manquer précisément la complexité. Le paradigme de la science classique était analytique, il poussait vers la décomposition de son objet, sans induire la nécessité de rétablir les relations. Il en résulte une vision de l‘humain très fragmentaire et un savoir scientifique très compartimenté. Dans son principe même, la science complexe inaugure et promeut la transdisciplinarité. Cette déclaration programmatique en faveur de la transgression des limites est fréquente dans les textes d’E. Morin. Par exemple :
« Il faut détruire la muraille de Chine qui sépare l’anthropo-sociologie du continuent de la vie, mais cette ouverture doit sauvegarder l’originalité, l’irréductibilité, la spécificité anthropo-sociale tout en la fondant, l’enracinant, l’alimentant en vie.
Ouvrir l’anthropo-sociologie sur la vie, c’est reconnaître la pleine réalité de l’homme. C’est briser avec la vision idéaliste d’un homme sur-naturel. C’est briser avec la vision disjonctive où l’homme relève de la vie seulement par les gènes et le corps, tandis que l’esprit et la société y échappent ».
C. Le savoir et l’observateur impliqué
Le paradigme de la complexité, en rétablissant les relations des données des sciences entre elles, a aussi pour conséquence de présenter la démarche scientifique elle-même sous un jour plus complexe, bien moins idéaliste que l’on avait pu le penser au XIXème siècle. La science classique a cru pouvoir élaborer un savoir purement objectif, celui d’un observateur absolu ; un savoir qui vaudrait encore s’il n’y avait pas d’observateur humain.
1) La physique quantique a profondément ébranlé l’édifice de la représentation de l’objectivité. Elle a montré que l’observateur perturbe l’observation microphysique. Elle nous a appris à substituer au mirage de l’objectivité forte auquel on a longtemps cru, le consensus réel de l’objectivité faible. Pour la première fois dans l’histoire de la modernité, la science prenait conscience d’elle-même comme construction d’un sujet conscient. Il n’était plus possible, sous couvert de l’objectivité, de faire abstraction du sujet et même du sujet humain. Le savoir que nous possédons sur l’univers est une représentation qui s’appuie sur un observateur et un concepteur humain. La cosmologie contemporaine a très bien compris que la théorie de la formation de l’univers se doit de prendre en compte l’émergence du vivant et aussi la possibilité inouïe de l’apparition de la conscience humaine. Ce principe a été appelé le principe anthropique. (texte) Il ne s’agit pas de revenir à l’anthropomorphismenaïf du Moyen-âge, mais de prendre en compte la conscience elle-même dans la genèse de l’univers.
Au XXième siècle, l’anthropologie entrait en crise et faisait la découverte du rôle de l’observateur dans les sciences sociales. On a cru au XIX ème pourvoir éliminer l’observateur et poser le savoir des sciences humaines dans une objectivité forte, égale à celle des sciences de la nature. Nous savons aujourd’hui que c’est une double illusion. Nous venons d’évoquer la première, au sujet des sciences de la Nature et de leur prétendue objectivité forte. Il va de soi, a fortiori, que dans des disciplines où l’implication du sujet humain est encore plus marquée, la prétention à une objectivité forte est littéralement simpliste. Exactement au sens du paradigme de la complexité. Lévi-Stauss dans Tristes tropiques avait clairement posé la question. Il avait mis en évidence la structure de l’ethnocentrisme, y compris dans l’ordre du savoir.
Edgar Morin insiste dans le même sens : « Le sociologue n’est pas seulement dans la société ; conformément à la conception hologramatique, la société est aussi en lui ; il est possédé par la culture qu’il possède. Comment pourrait-il-lui ; trouver un point de vue solaire, le point de vue divin d’où il jugerait sa propre société et les autres sociétés » ? Edgar Morin ne manque pas de rappeler les erreurs passées de l’anthropologie : « Ce fut… la carence lamentable de l’anthropologie du début du siècle où des anthropologues comme Lévy-Bruhl pensaient que ceux qu’ils appelaient ‘primitif’ était des adultes infantiles que n’avaient qu’une pensée mystique et magique ». On sait maintenant que ces soi-disant « primitifs » ont su développer des techniques sophistiquées, un art de l’utilisation des plantes, une gestion de leur environnement assez remarquable. Que veut dire « primitif »? Le terme primitif signifie qui en est aux premières étapes de son développement. On peut tout aussi bien dire que l’humanité actuelle, nous autres occidentaux y compris, sommes tout aussi bien des primitifs. Cela n’a rien à voir avec la prétention d’une supériorité du modèle occidental. Ainsi, « L’erreur de Lévy-Bruhl venait de son occidentalo-centrisme-rationalisateur d’observateur inconscient de sa propre place dans le devenir historique et de sa particularité sociologique ; il se croyait naïvement au centre de l’univers et au sommet de la raison ! » Non, la science ne s’édifie pas en l’air, l’occident ne peut prétendre incarner la « raison » ; la science est une construction des scientifiques, l’édifice collectif né dans une communauté, une époque donnée. La science naît sur un terreau social. Le paradigme de la complexité demande que l’observateur soit pris en compte dans l’observation, ou encore le savant dans son savoir, le concepteur dans sa conception. Il doit pouvoir jeter une lumière sur son propre contexte socio-culturel, non pas seulement, explique Edgar Morin, par modestie intellectuelle, mais parce qu’il y va directement de l’aspiration authentique à la vérité. La réintégration de l’observateur dans l’observation est un pas décisif vers la complexité.
Par conséquent, « la théorie, quelle qu’elle soit,… doit rendre compte de ce qui rend possible la production de cette théorie elle-même, si elle ne peut en rendre compte, elle doit savoir que le problème demeure posé ». Il y a dans toute théoriescientifique des présupposés fondamentaux dont elle se sert pour se développer. Karl Popper disait des présupposés métaphysiques. Thomas Kuhn a remarquablement montré dans La Structure des Révolutions scientifiques que les théories sont organisées à partir de principes qui ne relèvent pas de l’expérience, dont la formulation est appelée paradigme. Pour continuer avec l’article, ici longuement cité, Edgar Morin ajoute qu’Imre Lakatos indique, dans le même sens, qu’il y a dans les programmes de la recherche un noyau dur indémontrable. Ce qui semble donc étrange en l’affaire, c’est donc que la démarche scientifique ne se développe donc qu’au moyen de ce qui est non-scientifique en elle. Il est cependant possible, c’est là une aptitude naturelle de l’intellect, d’opérer une réflexion sur les premiers concepts, en adoptant un méta-point de vue par rapport à la théorie. D’où la nécessité réaffirmée d’une « connaissance de la connaissance ». Réinvestir l’impensé de nos propres constructions mentales.
---------------2) L’état de fait des sciences contemporaines pose directement des problèmes de logique et nous interroge sur le statut de la contradiction. On sait que dans la logique classique, la contradiction était directement rattachée à l’erreur et son signe le plus évident. Être confronté à la contradiction imposait de revoir les présupposés dont on s’était servi. On peut dire sans hésitation que toute la science moderne est gouvernée par une logique qui reste aristotélicienne. La compréhension de la complexité nous oblige à revoir notre copie sur ce point. La logique de la complexité est encore à écrire, cependant l’histoire des sciences contemporaines retiendra la leçon magistrale donnée par Bohr à ce sujet : au lieu de vouloir trancher entre la conception ondulatoire et la conception corpusculaire, il déclara qu’il fallait accepter la contradiction. Comme présente dans l’état de fait. Ce qui revient alors à faire des deux concepts contradictoires des complémentaires, puisque des expériences, conduites de manière correcte, reconduisaient droit à cette contradiction. C’est accepter ce que la logique classique ne pouvait pas accepter : le fait que l’on admette que la réalité puisse s’avérer paradoxale. Cela ne signifie pas pour autant que le principe de contradiction cesse complètement de valoir, mais qu’il devient indispensable de distinguer des niveaux dans le réel. Ce qui semble contradictoire à un niveau peut s’avérer complémentaire à un autre niveau. Ce qui est en cause c’est plutôt le statut du tiers-exclus de la logique classique. Cette approche a été développée par Stéphane Lupasco.
La vision complexe passe donc aussi par une réforme de la logique. La crise des fondements des mathématiques a été radicale au XX ème siècle. La science classique dans son modèle cartésien, croyait pouvoir achever l’édifice théorique de savoir dans un système cohérent, total et suffisant. La mise au jour de l’impossibilité d’une totalisation complète du savoir a été démontrée sous l’impulsion de Godel et de Tarski. Ils ont montré d’une part qu’aucun système logique ne peut se justifier totalement par lui-même ; et d’autre part qu’aucun système hautement formalisé de peut trouver en lui-même sa propre preuve.
Il nous faut donc apprendre à gérer les contradictions et les antagonismes. Dans la formulation d’Edgar Morin : « Le noyau principal de la complexité est, non seulement dans la liaison du séparé/isolé, mais dans l’association de ce qui était considéré comme antagoniste. La complexité correspond, dans ce sens, à l’irruption des antagonismes au cœur des phénomènes organisés, à l’irruption des paradoxes ou contradictions au cœur de la théorie. Le problème de la pensée complexe est dès lors de penser ensemble, sans incohérence, deux idées pourtant contraires. Ce n’est possible que si l’on trouve, a) le méta-point de vue qui relativise la contradiction, b) l’inscription dans une boucle qui rende productive l’association des notions antagonistes devenues complémentaires ».
3) Enfin, si le paradigme de la simplification est à l’origine cartésien, il faut s’attendre à ce que l’on doive opérer la remise en question de la séparation analytique et de l’idée de clarté et de distinction qui y était liée dans la représentation classique. Descartes inaugure la modernité en disjoignant la chose pensante (res cogitans), le sujet, et la chose étendue (res extensa). Ainsi commençait le divorce entre philosophie et science et s’entamait un processus de fragmentation indéfini du savoir. Si dans un premier temps ce paradigme s’est avéré fécond, ses conséquences nuisibles ont attendu le XX ème siècle pour se manifester avec toute leur acuité. Le principe de disjonction est un usage coupant de l’intellect. Son usage systématique aboutit à couper la communication entre réflexion philosophique et sciences, et à couper les ponts entre les sciences, il a notamment « isolé radicalement les uns des autres les trois grands champs de la connaissance scientifique : la physique, la biologie, la science de l’homme ».
« Ainsi, on en arrive à l’intelligence aveugle. La pensée disjonctive isole tous ses objets, non seulement les uns des autres, mais aussi de leur environnement. Elle isole les disciplines les unes des autres et insularise les sciences. Elle ne peut concevoir le lien inséparable entre l’observateur et la chose observée ».
Nous avons vu que le propre de la pensée fragmentaire, (texte) c’est tout à la fois de séparer ce qui dans la réalité est indissociable et aussi de recomposer des unités abstraites qui n’existent pas dans le réel. Pour désigner ce second procédé, Edgar Morin emploie le concept de pensée réductrice. « La pensée réductrice, elle, unifie ce qui est divers ou multiple, soit ce qui est élémentaire, soit à ce qui est quantifiable. Ainsi la pensée réductrice accorde la ‘vraie’ réalité non aux totalités, mais aux éléments, non aux qualités, mais aux mesures, non aux êtres et aux existants, mais aux énoncés formalisables et mathématisables ».
Le bon sens est naïf, mais la pensée naïve admet volontiers l’ambiguïté présente dans le réel. Elle garde un sens de la complexité. « La pensée simplifiante s’est voulue supérieure à la pensée naïve qui s’accommode du flou, de l’incertitude et de l’ambiguïté .elle a éliminé par principe le flou, l’incertain, l’ambigu et, bien sûr, le contradictoire. Elle s’est voulue et montrée supérieure en rigueur. Mais, au-delà d’un certain seuil incertain, elle est devenue rigide, donc inférieure, et elle a occulté la complexité du réel que la pensée naïve, qui est, en fait, naïvement complexe, tolère sans pouvoir l’expliciter ».
Or nous ne devons jamais perdre de vue que c’est bien la représentation simplifiante issue de la science moderne qui gouverne l’état présent de notre monde actuel. Le monde que nous avons sous les yeux a été entièrement retravaillé, formaté, par la techno-science qui est le résultat de la pensée simplifiante, de la pensée fragmentaire. Il y a une relation entre les problèmes de notre monde actuel et ce mode de pensée qui est le nôtre depuis le XVII ème siècle. Beaucoup de problèmes dont nous souffrons aujourd’hui sont dû à un mode de pensée erroné, à une représentation, désormais caduque, léguée par la science classique.
1) La physique quantique a profondément ébranlé l’édifice de la représentation de l’objectivité. Elle a montré que l’observateur perturbe l’observation microphysique. Elle nous a appris à substituer au mirage de l’objectivité forte auquel on a longtemps cru, le consensus réel de l’objectivité faible. Pour la première fois dans l’histoire de la modernité, la science prenait conscience d’elle-même comme construction d’un sujet conscient. Il n’était plus possible, sous couvert de l’objectivité, de faire abstraction du sujet et même du sujet humain. Le savoir que nous possédons sur l’univers est une représentation qui s’appuie sur un observateur et un concepteur humain. La cosmologie contemporaine a très bien compris que la théorie de la formation de l’univers se doit de prendre en compte l’émergence du vivant et aussi la possibilité inouïe de l’apparition de la conscience humaine. Ce principe a été appelé le principe anthropique. (texte) Il ne s’agit pas de revenir à l’anthropomorphismenaïf du Moyen-âge, mais de prendre en compte la conscience elle-même dans la genèse de l’univers.
Au XXième siècle, l’anthropologie entrait en crise et faisait la découverte du rôle de l’observateur dans les sciences sociales. On a cru au XIX ème pourvoir éliminer l’observateur et poser le savoir des sciences humaines dans une objectivité forte, égale à celle des sciences de la nature. Nous savons aujourd’hui que c’est une double illusion. Nous venons d’évoquer la première, au sujet des sciences de la Nature et de leur prétendue objectivité forte. Il va de soi, a fortiori, que dans des disciplines où l’implication du sujet humain est encore plus marquée, la prétention à une objectivité forte est littéralement simpliste. Exactement au sens du paradigme de la complexité. Lévi-Stauss dans Tristes tropiques avait clairement posé la question. Il avait mis en évidence la structure de l’ethnocentrisme, y compris dans l’ordre du savoir.
Edgar Morin insiste dans le même sens : « Le sociologue n’est pas seulement dans la société ; conformément à la conception hologramatique, la société est aussi en lui ; il est possédé par la culture qu’il possède. Comment pourrait-il-lui ; trouver un point de vue solaire, le point de vue divin d’où il jugerait sa propre société et les autres sociétés » ? Edgar Morin ne manque pas de rappeler les erreurs passées de l’anthropologie : « Ce fut… la carence lamentable de l’anthropologie du début du siècle où des anthropologues comme Lévy-Bruhl pensaient que ceux qu’ils appelaient ‘primitif’ était des adultes infantiles que n’avaient qu’une pensée mystique et magique ». On sait maintenant que ces soi-disant « primitifs » ont su développer des techniques sophistiquées, un art de l’utilisation des plantes, une gestion de leur environnement assez remarquable. Que veut dire « primitif »? Le terme primitif signifie qui en est aux premières étapes de son développement. On peut tout aussi bien dire que l’humanité actuelle, nous autres occidentaux y compris, sommes tout aussi bien des primitifs. Cela n’a rien à voir avec la prétention d’une supériorité du modèle occidental. Ainsi, « L’erreur de Lévy-Bruhl venait de son occidentalo-centrisme-rationalisateur d’observateur inconscient de sa propre place dans le devenir historique et de sa particularité sociologique ; il se croyait naïvement au centre de l’univers et au sommet de la raison ! » Non, la science ne s’édifie pas en l’air, l’occident ne peut prétendre incarner la « raison » ; la science est une construction des scientifiques, l’édifice collectif né dans une communauté, une époque donnée. La science naît sur un terreau social. Le paradigme de la complexité demande que l’observateur soit pris en compte dans l’observation, ou encore le savant dans son savoir, le concepteur dans sa conception. Il doit pouvoir jeter une lumière sur son propre contexte socio-culturel, non pas seulement, explique Edgar Morin, par modestie intellectuelle, mais parce qu’il y va directement de l’aspiration authentique à la vérité. La réintégration de l’observateur dans l’observation est un pas décisif vers la complexité.
Par conséquent, « la théorie, quelle qu’elle soit,… doit rendre compte de ce qui rend possible la production de cette théorie elle-même, si elle ne peut en rendre compte, elle doit savoir que le problème demeure posé ». Il y a dans toute théoriescientifique des présupposés fondamentaux dont elle se sert pour se développer. Karl Popper disait des présupposés métaphysiques. Thomas Kuhn a remarquablement montré dans La Structure des Révolutions scientifiques que les théories sont organisées à partir de principes qui ne relèvent pas de l’expérience, dont la formulation est appelée paradigme. Pour continuer avec l’article, ici longuement cité, Edgar Morin ajoute qu’Imre Lakatos indique, dans le même sens, qu’il y a dans les programmes de la recherche un noyau dur indémontrable. Ce qui semble donc étrange en l’affaire, c’est donc que la démarche scientifique ne se développe donc qu’au moyen de ce qui est non-scientifique en elle. Il est cependant possible, c’est là une aptitude naturelle de l’intellect, d’opérer une réflexion sur les premiers concepts, en adoptant un méta-point de vue par rapport à la théorie. D’où la nécessité réaffirmée d’une « connaissance de la connaissance ». Réinvestir l’impensé de nos propres constructions mentales.
---------------2) L’état de fait des sciences contemporaines pose directement des problèmes de logique et nous interroge sur le statut de la contradiction. On sait que dans la logique classique, la contradiction était directement rattachée à l’erreur et son signe le plus évident. Être confronté à la contradiction imposait de revoir les présupposés dont on s’était servi. On peut dire sans hésitation que toute la science moderne est gouvernée par une logique qui reste aristotélicienne. La compréhension de la complexité nous oblige à revoir notre copie sur ce point. La logique de la complexité est encore à écrire, cependant l’histoire des sciences contemporaines retiendra la leçon magistrale donnée par Bohr à ce sujet : au lieu de vouloir trancher entre la conception ondulatoire et la conception corpusculaire, il déclara qu’il fallait accepter la contradiction. Comme présente dans l’état de fait. Ce qui revient alors à faire des deux concepts contradictoires des complémentaires, puisque des expériences, conduites de manière correcte, reconduisaient droit à cette contradiction. C’est accepter ce que la logique classique ne pouvait pas accepter : le fait que l’on admette que la réalité puisse s’avérer paradoxale. Cela ne signifie pas pour autant que le principe de contradiction cesse complètement de valoir, mais qu’il devient indispensable de distinguer des niveaux dans le réel. Ce qui semble contradictoire à un niveau peut s’avérer complémentaire à un autre niveau. Ce qui est en cause c’est plutôt le statut du tiers-exclus de la logique classique. Cette approche a été développée par Stéphane Lupasco.
La vision complexe passe donc aussi par une réforme de la logique. La crise des fondements des mathématiques a été radicale au XX ème siècle. La science classique dans son modèle cartésien, croyait pouvoir achever l’édifice théorique de savoir dans un système cohérent, total et suffisant. La mise au jour de l’impossibilité d’une totalisation complète du savoir a été démontrée sous l’impulsion de Godel et de Tarski. Ils ont montré d’une part qu’aucun système logique ne peut se justifier totalement par lui-même ; et d’autre part qu’aucun système hautement formalisé de peut trouver en lui-même sa propre preuve.
Il nous faut donc apprendre à gérer les contradictions et les antagonismes. Dans la formulation d’Edgar Morin : « Le noyau principal de la complexité est, non seulement dans la liaison du séparé/isolé, mais dans l’association de ce qui était considéré comme antagoniste. La complexité correspond, dans ce sens, à l’irruption des antagonismes au cœur des phénomènes organisés, à l’irruption des paradoxes ou contradictions au cœur de la théorie. Le problème de la pensée complexe est dès lors de penser ensemble, sans incohérence, deux idées pourtant contraires. Ce n’est possible que si l’on trouve, a) le méta-point de vue qui relativise la contradiction, b) l’inscription dans une boucle qui rende productive l’association des notions antagonistes devenues complémentaires ».
3) Enfin, si le paradigme de la simplification est à l’origine cartésien, il faut s’attendre à ce que l’on doive opérer la remise en question de la séparation analytique et de l’idée de clarté et de distinction qui y était liée dans la représentation classique. Descartes inaugure la modernité en disjoignant la chose pensante (res cogitans), le sujet, et la chose étendue (res extensa). Ainsi commençait le divorce entre philosophie et science et s’entamait un processus de fragmentation indéfini du savoir. Si dans un premier temps ce paradigme s’est avéré fécond, ses conséquences nuisibles ont attendu le XX ème siècle pour se manifester avec toute leur acuité. Le principe de disjonction est un usage coupant de l’intellect. Son usage systématique aboutit à couper la communication entre réflexion philosophique et sciences, et à couper les ponts entre les sciences, il a notamment « isolé radicalement les uns des autres les trois grands champs de la connaissance scientifique : la physique, la biologie, la science de l’homme ».
« Ainsi, on en arrive à l’intelligence aveugle. La pensée disjonctive isole tous ses objets, non seulement les uns des autres, mais aussi de leur environnement. Elle isole les disciplines les unes des autres et insularise les sciences. Elle ne peut concevoir le lien inséparable entre l’observateur et la chose observée ».
Nous avons vu que le propre de la pensée fragmentaire, (texte) c’est tout à la fois de séparer ce qui dans la réalité est indissociable et aussi de recomposer des unités abstraites qui n’existent pas dans le réel. Pour désigner ce second procédé, Edgar Morin emploie le concept de pensée réductrice. « La pensée réductrice, elle, unifie ce qui est divers ou multiple, soit ce qui est élémentaire, soit à ce qui est quantifiable. Ainsi la pensée réductrice accorde la ‘vraie’ réalité non aux totalités, mais aux éléments, non aux qualités, mais aux mesures, non aux êtres et aux existants, mais aux énoncés formalisables et mathématisables ».
Le bon sens est naïf, mais la pensée naïve admet volontiers l’ambiguïté présente dans le réel. Elle garde un sens de la complexité. « La pensée simplifiante s’est voulue supérieure à la pensée naïve qui s’accommode du flou, de l’incertitude et de l’ambiguïté .elle a éliminé par principe le flou, l’incertain, l’ambigu et, bien sûr, le contradictoire. Elle s’est voulue et montrée supérieure en rigueur. Mais, au-delà d’un certain seuil incertain, elle est devenue rigide, donc inférieure, et elle a occulté la complexité du réel que la pensée naïve, qui est, en fait, naïvement complexe, tolère sans pouvoir l’expliciter ».
Or nous ne devons jamais perdre de vue que c’est bien la représentation simplifiante issue de la science moderne qui gouverne l’état présent de notre monde actuel. Le monde que nous avons sous les yeux a été entièrement retravaillé, formaté, par la techno-science qui est le résultat de la pensée simplifiante, de la pensée fragmentaire. Il y a une relation entre les problèmes de notre monde actuel et ce mode de pensée qui est le nôtre depuis le XVII ème siècle. Beaucoup de problèmes dont nous souffrons aujourd’hui sont dû à un mode de pensée erroné, à une représentation, désormais caduque, léguée par la science classique.
Il est important de comprendre qu’il n’y a pas d’opposition entre un champ théorique qui serait celui de la pensée et le champ de la pratique qui serait celui de l’action. La connaissance est à la base de l’action. « Il n’y a pas, d’un côté, un domaine de la complexité qui serait celui de la pensée, de la réflexion et, de l’autre, le domaine des choses simples qui serait celui de l’action. L’action est le royaume concret et parfois vital de la complexité ». Le croire serait encore une fois opérer une disjonction illusoire. Il n’y a en l’espèce aucune hésitation à formuler : « Il faut voir la complexité là où elle semble en général absente comme, par exemple, la vie quotidienne ». Il ne faut donc pas s’y tromper, le propos de la pensée complexe n’est pas purementépistémologique. Il est une mise en cause directe de notre manière de penser et son implication est bien qu’il est nécessaire d’opérer une véritable réforme de la pensée.
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Le paradigme de la complexité n’est pas seulement une sorte d’effet de mode intellectuelle. (texte) Il ne suffit d’accoler partout le mot « complexité » pour le comprendre correctement. Il est une reformulation synthétique qui permet de comprendre les craquements qui ont ébranlé l’édifice des sciences au XX ème siècle et les resituant dans une perspective nouvelle.
Il est aussi un vaste chantier de restructuration de la pensée dont les prolongements s’étendent jusque dans la pédagogie. La complexité est faite pour être enseignée pour préparer les générations à venir à une forme de pensée qui ne soit pas mutilante et simplificatrice.
La pensée complexe n’a pas les prétentions conquérantes de la science classique. Elle débouche sur l’incertain et reconnaît l’inconnu. Elle soulève des questions difficiles tout en admettant que toutes nos réponses sont limitées. L’incertitude n’enlève pas pour autant la vigueur et l’enthousiasme de l’intelligence. La complexité donne le sens des limites, elle nous convie à l’humilité ; Elle nous donne à comprendre, comme le disait Shakespeare, qu’il y a une infinité de choses dans l’univers qui surpassent tout ce que notre philosophie a pu en dire. Et tout ce que notre science a prétendu expliquer.
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