1 oct. 2011

Les limites de la connaissance 6-7) Positions et attitudes philosophiques (deuxième partie).




Les limites de la connaissance 6-7) 
Positions et attitudes philosophiques 
(deuxième partie).
.
"La science nous permettra-t-elle un jour de tout savoir? Ne rêve-t-elle pas d'une formule qui explique tout? N'y aurait-il rien qui entrave sa marche triomphale? Le monde deviendra-t-il transparent à l'intelligence humaine? Tout mystère pourra-il être à jamais dissipé?

Hervé Zwirn pense qu'il n'en n'est rien.La science, en même temps qu'elle progresse à pas de géant marque elle même ses limites. C'est ce que montre la découverte des propositions indécidables qui ont suivi le théorème de Gödel. Ou celle des propriétés surprenantes du chaos déterministe. Ou encore les paradoxes de la théorie quantique qui ont opposé Einstein et Bohr  en mettant en cause toute notre manière de penser.
L'analyse de ces limites que la science découvre à sa propre connaissance conduit à poser une question plus profonde: qu'est ce que le réel?"

Je voudrais ici faire partager ma lecture de Hervé Zwirn.
    
            En exergue:
"En bref, je défendrai une conception dans laquelle l'esprit ne se contente pas de "copier" un monde qui ne peut être décrit que pas une Seule et Unique Théorie Vraie. Mais je ne prétend que l'esprit invente le monde [...]. L'esprit et le monde construisent conjointement l'esprit et le monde.       Putnam (1981).


1) Introduction.
Les articles précédents ont montré que la science ne peut atteindre la certitude, mais on peut penser que c'est la meilleure approche cognitive de l'univers que nous possédons même si elle ne peut atteindre au degré de perfection ultime que nous souhaiterions. C'est le symptôme d'une limitation de nos possibilités humaines de connaissance et pas seulement du discours scientifique qui pourrait être dépassé par un moyen alternatif non scientifique comme la magie ou des "parasciences". Elle a fait l'objet de l'article "Les limites de la connaissance 6-6". 
     Les limites constructives: l'impossibilité de construire des systèmes échappant à tout doute et de donner des fondations certaines au savoir. 
     Les limites prédictivesl'espoir de prédire de manière complète, avec certitude et sur des périodes arbitrairement grandes l'évolution des systèmes physiques ne peut être atteint. 
     Limites cognitives: impossibilité de connaître parfaitement et en détail certaines parties du monde.
     Limites ontologiques: elles éliminent certaines entités conceptuelles comme inconsistantes ou résidant en dehors des possibilités d'appréhension du discours. 
Il faut cependant en préciser la portée véritable et préciser les résultats qui peuvent en atténuer l'impact. Par exemple: "aucun système formel assez puissant pour incorporer l'arithmétique ne peut prouver par ses propre moyens sa consistance s'il n'est pas contradictoire". Cela ne veut pas dire qu'il soit impossible de la faire par d'autres moyens: la preuve donnée par Gentzen le montre.
Après cette réflexion, nous pouvons aborder plus en détail l'examen des positions et attitudes philosophiques qui se sont exprimées après la découverte de ce monde quantique.
Le réalisme comme l'idéalisme ont des arguments en leur faveur tout en étant ébranlés par des objections sérieuses, mais les critiques ne suffisent pas à réfuter globalement et définitivement chaque position, pas plus que les arguments ne peuvent en établir la vérité. Les autres arguments avancés par les pragmatistes ou les constructivistes ne se prononcent pas directement sur l'ontologie, mais ils aboutissent à des conclusions épistémologiques qui peuvent avoir des conséquences métaphysiques. 
Dans cette deuxième partie de l'article, nous analyserons plus en détail un certain nombre de variantes en examinant aussi de quelle manière "les limites de la connaissance" jettent un éclairage nouveau sur ces problèmes:
          Le réalisme de Boyd.
          Le scepticisme de Stein.
          Le réalisme structurel de Poincaré.
          L'empirisme constructif de Van Fraassen.
          Le réalisme interne de Putnam.
          Le réalisme de Bonsack. 
          Le Réalisme voilé de Bernard D'Espagnat.


1) Le réalisme de Boyd.
Il est une réponse aux arguments classiques des antiréalistes. Pour lui, l'objet de la science est la connaissance des phénomènes indépendants pour une grande part des théories et cette connaissance est possible même lorsque les phénomènes ne sont pas observables. Son argument, qu'il appelle "abductif", en faveur du réalisme est le succès des théories scientifiques. "Contre les empiristes, le réaliste avance que c'est seulement en acceptant la réalité d'un savoir théorique approximatif qu'il est possible d'expliquer la réussite expérimentale des méthodes scientifiques." Cette explication repose sur deux points: *le premier est une conception cumulative de la recherche par approximations successives de la vérité. *Le deuxième est qu'elle est possible car il existe une relation dialectique entre les théories courantes et la méthodologie utilisée pour leur amélioration. La méthode scientifique fournit une stratégie de modification des théories existantes. Si le corpus des théories acceptées est suffisamment proche de la vérité, cette méthodologie produit une amélioration à la fois de notre connaissance du monde et de la méthodologie elle-même. Pour Boyd, il est impossible d'expliquer que ce processus fonctionne sans adopter une conception réaliste. Il s'oppose aux antiréalistes constructivistes selon laquelle le monde est défini ou construit par par la tradition théorique qui définit la méthodologie, mais il en adopte un trait: la méthodologie scientifique dépend étroitement du cadre théorique. Il en tire un argument en faveur du réalisme: "la réussite empirique des théories ne peut être un artefact de la construction sociale de la réalité." 
Par ailleurs, Boyd évite les échecs de l'empirisme logique, de l'opérationnalisme, de la position de Kuhn et des constructivistes selon lesquels la référence d'un terme théorique dépend totalement de la théorie qui l'utilise par ce qu'il appelle "l'accès épistémique": "Un terme t réfère à une entité e uniquement dans le cas où les interactions causales complexes entre les propriétés du monde et les pratiques sociales humaines aboutissent au fait que ce qui est dit de t est, en général et à travers les époques, régulé de manière fiable par les propriétés réelles de e." Il n'est ainsi par gêné par le fait que lui opposeraient les constructivistes qu'une théorie nouvelle ne peut être une amélioration de l'ancienne puisqu'elle ne parle pas de la même chose. 


Mais le réalisme de Boyd est dissocié de beaucoup de traits qu'on attribue généralement au réalisme. Il rejette le fondationnalisme qui est pour lui la position consistant à considérer que toute connaissance est fondée sur certaines croyances de base qui occupent une position épistémologique privilégiée, croyances "à priori", hors de doute et incorrigibles.
En  effet, le fait de supposer que le savoir croît régulièrement par approximations successives et que l'évaluation des théories est un phénomène social entraînent que la notion essentielle est "la régulation fiable du savoir" plutôt que sa production fiable. L'épistémologie dépend donc de la connaissance empirique et les principes méthodologiques dépendent profondément des théories. Ils sont un guide fiable vers la vérité parce que le corps des théories qui détermine leur application est approximativement vrai. Il n'y a pas de justifiables à priori d'inférence non déductive. L'émergence de la rationalité scientifique dépend de l'émergence historiquement, épistémologiquement et logiquement contingente de théories approximatives. Il en résulte que le réalisme réfute le fondationnalisme. 

Boyd n'adhère ni à l'idée (habituellement attribuée aux réalistes) selon laquelle toute proposition factuelle est soit vraie soit fausse (la bivalence), ni à la croyance en l'existence d'une seule théorie vraie.  Resher donne un exemple pour la bivalence. Soient les deux phrases: *Le cancer est causé par un virus; *le cancer est causé par autre chose qu'un virus. Il semblerait à priori qu'une et seulement une des deux phrases soient vraies mais c'est erroné, car le mot "cancer" regroupe un ensemble de maladies. L'évolution des théories amènera peut-être à ramifier le référent. Les deux phrases pourront alors simultanément vraies l'une pour le référent "cancer 1", l'autre pour cancer 2".


Boyd refuse le réductionnisme de la science à la physique. On ne peut écarter la possibilité que des théories physiques bien confirmées soient mises en défaut en raison de conflits avec des observations issues de "sciences moins dures" comme la géologie...

2) Commentaires sur le réalisme de Boyd.
La relation dialectique entre les théories scientifiques et la méthodologie utilisée pour leur amélioration n'est pas spécifique du réalisme et elle est partagée par de nombreux épistémologues. Son rejet du fondationalisme et de la bivalence permettent de le classer parmi les réalistes sophistiqués. 
Première remarque: La solution que propose Boyd de la référence des termes théoriques  à l'accès épistémique pose le problème de savoir ce que sont les propriétés réelles de l'entité e auxquelles il se réfère et si cela a un sens de de postuler de telles propriétés (illusion de penser une entité comme l'électron en tant qu'élément différencié en raison de la non-séparabilité par exemple). Boyd passe cette difficulté sous silence. 
Autre difficulté: impossibilité de définir précisément ce qu'est une vérité approximative. que veut dire la phrase "la mécanique relativiste est plus proche de la vérité que la mécanique newtonnienne" (Popper a échoué à définir rigoureusement la vérisimilitude)? Mais une théorie de la vérité approximative reste à inventer et le concept d'évolution cumulative du savoir vers une connaissance de plus en plus proche de la vérité souffre d'un défaut qui apparaît rédhibitoire. On peut dire que la mécanique newtonnienne est une approximation numérique de la mécanique relativiste ou de la mécanique quantique, mais il est impossible de soutenir que que la la mécanique relativiste (et quantique) donne une connaissance qui est un prolongement de celle fournie par la mécanique newtonnienne dans la mesure où dans le cadre relativiste ou quantique, la mécanique newtonnienne est , en toute rigueur, fausse (il y a changement de paradigme).
Par ailleurs, l'argument abductif ("l'argument du miracle"), est sujet à objections. Une théorie empiriquement satisfaisante à un instant donné est elle vraie, au moins de manière approchée?  Si cela était, pourquoi des théories comme celles de l'éther ou du phlogistique sont-elles maintenant exclues de nos théories actuelles? L'argument abductif n'est pas suffisamment convaincant par lui-même si on admet que toute théorie fausse a des conséquences vraies (en fait, il y en a une infinité. La théorie de Boyd, présente des aspects solides en ce qui concerne son épistémologie (évolution dialectique de la science, rejet du fondationalisme et de la bivalence), mais dans ses aspects métaphysiques elle ne se présente pas comme une défense du réalisme aussi solide que le souhaiterait son auteur.


3) Le scepticisme de Stein.

L'analyse analyse de Stein a le mérite de rappeler les objections qui peuvent être faites à l'encontre des positions en présence. Il cultive le scepticisme socratique et n'oppose pas le constructivisme et le réalisme. Selon lui, sous leur forme la plus simple, elles ne rendent pas compte de la dialectique du développement scientifique, mais dans leur version raffinée, des aspects de chacune d'entre elles sont simultanément présents et la contradiction s'évanouit. 
*Pour l'instrumentalisme, une théorie n'est rien d'autre qu'un instrument pour représenter des phénomènes. Le réaliste demande en plus que les termes théoriques se réfèrent à une réalité et que ses énoncés soient vrais ou faux. Mais si la référence et l'adéquation de la théorie se situe au-delà de son adéquation avec le domaine empirique, comment pourrons nous jamais savoir ce qu'il en est? Alors que Kant semble mettre la référence et la vérité au-delà du savoir, Tarski trivialise le concept par les "méta-théories" (théorie sur la théorie) et n'a jamais répondu au problème de la transcendance. Mais si on ne les considère pas comme de simples instruments, la question demeure de savoir comment déterminer si les théories sont vraies ou non. La position de Boyd (relation des théories avec l'expérience et l'évolution du processus scientifique qui produit des arguments en faveur de leur vérité), ne semble pas être pertinente pour répondre à l'instrumentalisme. 
Pour Stein, hypostasier les entités ne peut être une explication de leur utilité (par exemple, on voit l'herbe verte parce qu'elle possède la propriété d'être verte n'explique rien, cela n'aide même pas à comprendre pourquoi nos sensations ont cette forme), c'est la manifestation d'un abandon des normes intellectuelles de rigueur. Le problème pour l'épistémologie évolutionniste de Boyd est alors de comprendre comment nos moyens, qui ont évolué à partir de leur valeur instrumentale destinée à traiter d'aspects immédiats du monde ont été capables de traiter aussi de la mécanique quantique. Selon Stein, le processus de développement des théories vers des concepts de plus en plus fondamentaux n'a rien a voir avec leur aspect référentiel ou leur ontologie. La science progresse non par la façon dont elle rend compte des "substances",mais celle dont elle traite des formes. Le réalisme comme l'instrumentalisme simple ne sont donc pas satisfaisants, mais il n'y a pas de différence pour cet aspect entre un réalisme modifié (Boyd) et un instrumentalisme raffiné. Le thèse de Berkeley (seuls sont réels les esprits et les perceptions), n'est pas réfutée après l'échec du phénoménomalisme comme base du langage scientifique. Est-ce que seule une entité derrière les apparences peut produire ds régularités dans nos perceptions? Est-il plus miraculeux que nos perceptions suivent des lois que de constater le succès empirique de la loi de la gravitation? Ce que la science accepte comme principe ultime à un moment donné parce qu'il n'y a pas de fondement plus profond reste inexplicable et semble d'autant plus miraculeux que c'est éloigné du domaine familier. Nous devons accepter de formuler nos croyances en termes non phénoménologiques et alors, les atomes... se retrouvent sur le même plan que les tables et les chaises. "Le réalisme oui, mais... l'instrumentalisme aussi". Telle est la position de Stein.


4) Commentaires sur le scepticisme de Stein.
Plus qu'une conception consistant à élaborer un raisonnement démonstratif, cette démarche consiste à poser une suite de questions. Stein se refuse à trancher et il est vrai qu'il serait prétention d'affirmer que telle seule ou telle conception est la bonne. Il faut certes écarter celles qui sont manifestement incohérentes ou contredites par l'expérience, mais le choix demeure lié à des intuitions personnelles qui ne peuvent être tranchées ni par le raisonnement ni par l'expérience. Pour Stein, "ce que le science adopte à un moment donné comme principe ultime reste inexplicable." Quelle est la cause de la loi de la gravitation en théorie newtonnienne ou du champ de gravitation en relativité générale? Pourquoi le principe de conservation de l'énergie ou de la relativité, qui sont les fondements de la physique moderne son-ils vérifiés? Cela reste un mystère auquel nous devons nous résigner (les principes de conservation et l'existence des forces sont reliés à des propriétés d'invariance par symétrie, mais ceci ne fait que reculer le problème)


5) Le réalisme structurel de Poincaré selon Worrall.

Le réalisme structurel énoncé initialement par Poincaré dans La science et l'hypothèse est défendu par Jonh Worrall (le moyen de concilier le meilleur du réalisme avec le meilleur du constructivisme?). Cette conception s'oppose à celle de Boyd selon laquelle la science progresse par accumulation de théories de plus en plus proches de la vérité. Le concept de vérité approximative n'est pas clairement défini. La transitivité (T proche de T' et T proche de T" ==> T proche de T"?) expose rapidement à des absurdités. De plus ces théories doivent-elles avoir des  conséquences proches? La réponse est négative, car elles être contradictoires et avoir des conséquences opposées. par exemple des théories proches comme celle de Maxwell ou Fresnel sur la lumière (champ électromagnétique se propageant dans le vide ou vibration d'un milieu élastique), celle la gravitation de Newton ou la relativité générale, peuvent elles être considérés comme proches et de simples améliorations? Par contre, les arguments précédents justifient dans ce cas la thèse constructiviste  des révolutions scientifiques et des changements de paradigme. 
De plus, Worral attaque l'argument abductif du no miracle en faveur du réalisme. Pourquoi faut-il penser que parce qu'une théorie a bien fonctionné elle est vraie ou approximent vraie? L'histoire des sciences montre que des théories considérées comme empiriquement adéquates à leur époque ont été réfutées et sont donc fausses. On peut en inférer (raisonnement inductif pessimiste?) que nos théories actuelles les mieux corroborées subiront un jour le même sort. Il adopte un "réalisme conjectural", proche de la position de Popper débarrassée de tout ce qui touche à la vérisimilitude: les théories actuellement acceptées sont les meilleures possibles disponibles à un moment donné, mais elle ne ne doivent pas être considérées comme vraies, ni comme plus proches de la réalité que celles qui les ont précédées ou qui leur succéderont. 
Cependant, Worrall reconnaît quelque chose de juste dans l'argument "no miracle" des réalistes épistémiques: il existe un élément de continuité dans le passage de la théorie de Fresnel à celle de Maxwell ou dans celui de Newton à Einstein. Cependant, cette continuité ne concerne pas le contenu des théories, mais leur forme ou leur structure. La théorie de Fresnel est passée à côté de la nature de la lumière, mais elle lui a attribué la bonne structure (la lumière est constituée de vibrations orthogonales à leur direction de propagation).. Ce n'est donc pas un miracle si elle a remporté le succès empirique qu'on lui a connu. Elle a en commun un aspect structurel avec la théorie de Maxwell. Ce qui explique les succès empiriques des théories, ce n'est pas le fait qu'elles sont proches de la réalité ou qu'elles ont un référent, mais que leur structure a quelque chose de réel. La continuité et la proximité auxquelles on peut se référer sont celles de la structure des équations. La courbure de l'espace temps n'est pas un cas limite ou une approximation du concept d'action à distance mais les équations de Newton sont un cas limite de celles d'Einstein quand la vitesse de la lumière tend vers l'infini. Cela permet de concilier l'argument du no miracle (les théories capturent des éléments de la réalité) et la notion constructiviste de leur incommensurabilité et de changement de paradigme.


6) Commentaires sur le réalisme structurel.
Si on suit Worral qui réfute la position de Boyd, on est conduit à refuser la continuité des théories et à adopter la version constructiviste de l'évolution la science sans la suivre jusqu'au bout et de sauvegarder une certaine forme de réalisme. Le réalisme structurel remplace le concept de proximité des contenus théoriques (concept douteux) par celui de proximité des structures de théories. 
Le cas de la relativité va dans ce sens, cas limite des équations d'Einstein lorsque la vitesse de la lumière tend vers l'infini. Mais le cas de la mécanique quantique ne se prête pas aussi facilement à une telle réduction. Les efforts dans ce sens se heurtent à des obstacles qui n'ont été levés jusqu'à présent que très partiellement. On a vu avec le chaos quantique que les équations ne sont pas analytiques en h (constante de Planck) et que la limite quand h tend vers 0 de ces équations n'est pas égale à ce qu'on obtient quand h est rigoureusement égal à 0. C'est la difficulté des approches  dites "semi-classiques". Un définition plus large proposée par Bonsack (voir ci-dessous chapitre10) permet de ne pas remettre en cause le réalisme structurel  (si on suppose que la réalité empirique est donnée, c'est à dire si on considère que nous ne la construisons pas). 


7) L'empirisme constructif de Van Fraassen.  
Mais si on considère que que la nature de la réalité empirique dépend des actions cognitives faites dans le but de la connaître, alors le réalisme structurel n'est plus un réalisme car il se réfère aux structures de notre esprit et se rapproche d'un idéalisme Kantien pour lequel la structure serait celle de nos catégories a priori. pour Van Fraassen, puisque le réalisme donne pour but à la science de décrire littéralement ce à quoi le monde ressemble,  on peut concevoir un antiréalisme dans lequel la science peut avoir un but qui ne se donne pas une description littéralement vraie et dans lequelut qui ne se donne pas une description littéralement vraie et dans lequel accepter une théorie n'entraîne pas forcément la croyance en sa vérité. Sa position antiréaliste, l'empirisme constructif, est telle que "le but de la science est de fournir des théories qui sont empiriquement adéquates  et accepter une théorie n'entraîne comme seule croyance que le fait qu'elle est empiriquement adéquate." 
Pour Van Fraassen, une théorie est "empiriquement adéquate" si et seulement si ce qu'elle dit au sujet des phénomènes observables est vrai (si elle "sauve les phénomènes").  Cette position est instrumentaliste. Accepter une théorie implique plus qu'une croyance, un engagement d'examiner le futur à l'aide des ressources conceptuelles de la théorie. Cet aspect pragmatique, que ne rejetterait pas un réaliste, s'oppose néanmoins au réalisme traditionnel, car ici, ce qui est observable dépend de la communauté "épistémique" (c'est observable pour nous). Un réaliste traditionnel stipule qu'un présence d'un évènement E et de plusieurs hypothèses, nous inférons qu'une d'entre elles est la meilleure explication de E (par exemple, nous inférons qu'une chaise existe quand nous en voyons une, parce que c'est la meilleure explication). Pour Van Fraassen, cet argument est une hypothèse de nature psychologique, il exprime ce que nous somme désireux de choisir ou pas. Il propose une hypothèse psychologique rivale: nous sommes toujours désireux ce croire que la théorie qui explique le mieux un évènement est empiriquement adéquate (c'est à dire, tous les phénomènes se comportent comme la théorie dit qu'ils le font). C'est l'hypothèse dans le contexte antiréaliste concernant l'inférence scientifique).


8) Le réalisme interne de Putnam.
image dans discovervedantafr.wordpress.com/  Un Regard sur l’Univers: un entretien avec l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan
Putnam tente de préserver le réalisme du sens commun en évitant ce qu'il considère comme les absurdités et les antinomies du réalisme scientifique qu'il appelle le "réalisme métaphysique".   Le "réalisme interne("réalisme pragmatique?") de Putnam  est à la fois réaliste et relativiste conceptuel.
Par exemple,Sellars ,(selon Hervé Zwirn), s'appuie sur le réalisme scientifique pour nier le fait que les objets courants comme les tables et les chaises existent. Le réalisme se présente sous deux versions de base. Pour la première, "le réalisme du sens commun", les objets de notre expérience quotidienne existent vraiment et possèdent bien les propriétés qu'on leur attribue. La deuxième, le réalisme scientifique, n'accorde d'existence qu'aux entités scientifiques et affirme que le monde du sens commun n'est qu'une projection. Cette conception a pour origine la révolution galiléenne qui nous a appris à penser que la vraie description du monde extérieur est mathématique. La taille ou la position sont des propriétés réelles, alors que d'autres , comme la couleur, sont des propriétés dispositionnelles. C'est la distinction due à Locke entre les qualités primaires et les qualités secondaires. Ce dernier fait intervenir les données des sens dans la détermination des propriétés d'un objet. Un objet rouge ne possède pas en lui-même sa "rougeur", mais une disposition à causer la sensation du rouge lorsqu'il est éclairé. Il es est de même pour d'autres propriétés comme la solidité, ce qui conduit Sellars à à dire que les objets courants n'existent pas et à refuser le réalisme du sens commun. Pour Putman, cette position est désastreuse, bien qu'elle soit acceptée en tant que "sens commun postscientifique" comme vision du monde dépassée qu'il faut rejeter pour adopter la conception qui constitue la meilleure explication du monde tel que la science nous apprend qu'il est. Car, en quoi est-ce une explication que d'affirmer que "la sensation de rouge apparaît" suite à l'excitation de certaines zones de notre cerveau par un influx nerveux. Cette explication fait intervenir un processus pour lequel nous n'avons même pas une esquisse de théorie et qui est plus mystérieuse que le phénomène à expliquer! Cela rejoint l'analyse de Stein contre l'argument de l'explication en faveur du réalisme. Ainsi, pour Putnam, "histoire des données des sens" n'est qu'une hypothèse très particulière. Ces données sont pourtant considérées par la philosophie traditionnelle comme ce qui est donné, ce dont nous sommes absolument sûrs indépendamment de toute théorie scientifique.
Il est grand temps de changer d'image. La cause de cette "maladie" réside dans la notion de propriété intrinsèque propriété qui appartient à quelque chose indépendamment de toute contribution du langage ou de la pensée. Les réalistes comme les idéalistes ont accepté cette distinction entre propriété intrinsèque et propriété projetée. La couleur, la solidité sont des propriétés projetées, des dispositions à produire certaines données des sens ou, (comme disent les matérialistes),  à produire certains états de notre système nerveux et de notre cerveau. Mais, comme le dit Putnam, il est impossible de définir rigoureusement les termes dispositionnels et de préciser ce qu'est une disposition. Quand à projeter, c'est une forme particulière de pensée, c'est penser à quelque chose comme ayant des propriétés qu'il n'a pas, mais que nous pouvons imaginer sans être conscient de ce que nous faisons. D'où le paradoxe souligné par Putnam: pour expliquer (donc en termes de pensée) l'apparence du monde du sens commun, le réalisme doit faire appel à la pensée et donc nier la réalité objective, comme son ennemi, l'idéalisme. Le réalisme scientifique nie donc la réalité des objets du sens commun et ne confère d'existence qu'aux objets utilisés dans les théories scientifiques. L'explication de l'apparence du monde ordinaire, devient ainsi une sorte d'idéalisme qui n'explique rien, car nous ne disposons d'aucune théorie de la pensée et celle-ci est même de plus en plus traitée comme une projection. 
Putman rejette ensuite "le postulat objectiviste fondamental":
*"Une distinction claire doit être faite entre les propriété que les choses ont par elles-même et celles que nous projetons."
*C'est la physique qui nous dit quelles sont les propriétés que les choses ont en elles-même.
Si on accepte ce postulat, les phénomènes mentaux doivent être des phénomènes physiques dérivés. Comment alors expliquer l'émergence de la pensée, c'est à dire expliciter de manière réductrice (à la physique) ce qu'est penser quelque chose. Pourquoi croire que c'est possible quand on a échoué pour les dispositions? Il faut donc le rejeter.
Le réalisme interne de Putnam est la point de vue de notre sens commun familier: les tables et les chaises existent, de même que les électrons, l'espace-temps ou les nombres premiers. Notre sens commun, les schémas scientifiques, les approches artistiques ou autres doivent être acceptés en tant que tels. C'est possible, car on peut être réaliste et relativiste conceptuel, conception selon laquelle les notions primitives et en particulier les notions d'objet ou d'existence ont une multitude d'usages différents plutôt qu'un sens absolu. La bonne utilisation d'un concept dépend du cadre dans lequel on l'emploie et ce n'est qu'après avoir précisé ce cadre, en spécifiant ce que nous considérons être un objet que la question admet une réponse définie, et celle-ci n'est alors en rien simple affaire de convention. En dehors du cadre défini, la question n'a pas de sens. Par exemple dans un monde comportant 3 objets (x,y,z) la question combien y a-t-il d'objets peut recevoir les réponses 3 ou 7 si on considère que la somme de plusieurs objets est un objet. Elle est donc dépourvue de sens tant qu'on a pas adopté un cadre conceptuel précis. Mais une fois ce cadre adopté, la réponse est parfaitement précise et s'impose de manière unique. La notion d'existence ne se réfère donc pas à une réalité en soi indépendamment de notre manière de l'appréhender, mais au cadre conceptuel dans lequel nous nous plaçons pour le faire. Donc le "même monde" peut être décrit comme composé de tables et de chaises dans une version et de particules dans l'autre? Mais des questions comme l'existence ne peuvent avoir un sens indépendamment d'un choix préalable de concepts appropriés. Ainsi, Putman est conduit, dans la ligne de pensée pragmatique, à abandonner "le point de vue du spectateur" en épistémologie, tout comme Willard_Van_Orman_Quine DavidsonGoodman
Le réalisme interne abandonne le concept de chose en soi, mais pas comme chez Kant à cause d'une impossibilité de la connaître (Kant ne rejette pas l'idée que ce concept pourrait avoir un sens), mais du refus d'attribuer un sens à ce concept. De même, il rejette aussi les dichotomies comme celle qui oppose les propriétés en soi d'un objet à ses propriétés projetées. Pour Putnam, il n'y a pas de frontière nette entre l'objectif et le subjectif (où commence l'objectif = pure chimère). Il refuse donc la théorie de la vérité-correspondance (Le concept de "fait" n'est pas externe et donné, mais dépend du cadre conceptuel dans lequel on se place et le mot fait n'a pas plus d'usage fixé par la réalité que les mots "existe" ou objet)." Dans le cadre du réalisme interne, nous devons accepter que "étant donné un langage, nous pouvons décrire les faits qui font qu'un énoncé de ce langage est vrai ou faux d'une manière triviale, en utilisant les énoncés de ce langage." Mais le rêve de trouver une relation absolue et universelle entre une supposée totalité des faits et un énoncé vrai d'un langage n'est que le rêve d'une notion absolue de fait. ("la quête des meubles de l'univers sera terminée avec la découverte que l'univers n'est pas une pièce meublée)."Ainsi, nous devons accepter l'explication selon laquelle "la cocotte minute a explosé parce que sa valve s'est bloquée" est pertinent dans le cadre du sens commun sans exiger une description philosophique ou scientifique plus profonde ...".


9) Commentaires sur le réalisme interne. 
"En bref, je défendrai une conception dans laquelle l'esprit ne se contente pas de "copier" un monde qui ne peut être décrit que par une Seule et Unique Théorie Vraie. Mais je ne prétends pas que l'esprit invente le monde [...]. L'esprit et le monde construisent conjointement l'esprit et le monde. Putnam (1981).
Ce que Putnam rejette dans la théorie de l'explication (ce qui est partagé par de nombreux philosophes), c'est essentiellement l'idée que les données des sens seraient données de manière univoque indépendamment de tout concept utilisé pour les appréhender (même nos "inputs" les plus primitifs sont façonnés par nos cadres conceptuels). Il rejette le concept de réalité en soi comme dénué de sens, mais comme il ne prétend pas que le monde n'est qu'une création de l'esprit (idéalisme pur), il doit accepter l'idée de quelque chose indépendant de l'esprit. Alors, qu'est-ce que cala signifie si ce quelque chose d'autre n'existe pas en soi? C'est le cadre conceptuel qu'on utilise. Mais, comme dans le cas cité au chapitre précédent pour un univers à 3 objets (y a t-il 3 ou 7 objets?), ne peut-on pas considérer qu'indépendammant de tout cadre, l'univers en question préexiste à la question de savoir combien il contient d'objets? Il semble logiquement nécessaire d'accepter l'existence d'une réalité externe à l'esprit pour que celui-ci adopte un cadre conceptuel pour en parler, ce qui rejoint un concept proche de celui du réalisme structurel. 
Putnam étend ses conclusions relativistes à propos de l'existence de l'objet (qui dépend du cadre conceptuel), à l'existence de ce qui permet, en même temps que le cadre, de définir la notion d'objet et donc de son existence. Il faut bien que le cadre s'applique à quelque chose qui ne dépend pas de lui. Il semble donc nécessaire d'admettre l'existence de quelque chose, une réalité en soi, dont on ne peut parler et dont la seule propriété est d'exister dans un sens absolu: "quelque chose d'autre que l'esprit existe". Il serait sans doute prudent d'en parler en adoptant une sorte de réalisme structurel (ce que Putnam ne fait pas). Et, contrairement à ce qu'il affirme, sa position semble nécessiter deux concepts d'existence: un concept premier, absolu qui ne s'applique à aucun objet mais uniquement à ce "quelque chose", et un concept secondaire par rapport au concept d'objet dépendant du cadre conceptuel, qui s'applique à des objets particuliers. ce postulat, qui n'est pas celui de Putman, ressemble a celui que propose D'Espagnat (voir ci-dessous) sous forme de "réalisme ouvert", mais ce dernier ne se prononce pas sur l'impossibilité de principe de parler de ce quelque chose, car on ne peut pas se passer d'un réel antérieur à la connaissance. 
Le relativisme conceptuel de Putnam est bien conforme aux conséquences de la mécanique quantique: impossibilité de parler d'objets en soi, de propriétés appartenant en propre à un système, de phénomènes indépendamment d'un dispositif expérimental précis et nécessaire contextualisme des théorie quantiques. La critique du réalisme se trouve confortée après l'analyse du problème de la mesure dans le contexte des théories de l'environnement. Il faut faire appel aux caractéristiques de l'esprit humain pour expliques pourquoi le monde est tel que nous le voyons. Le lien avec les apparences du sens commun et les perceptions quotidiennes, déjà distendu par la physique classique, a été éclaté par la mécanique quantique. Expliquer l'apparence commune des choses devient un exercice de plus en plus difficile et culmine dans des théories comme celles de Zurek ou dans l'interprétation du solipsisme convivial.
Mais, comme le fait Putnam, faut-il rejeter définitivement le recours à la pensée ou aux contraintes de l'esprit humain parce qu'il est indispensable dans ces explications et que nous ne pouvons pas le réduire (en l'état actuel de nos connaissances), à un processus purement physique? Cela revient à déclarer que l'explication donnée par le réalisme scientifique n'a aucune valeur puisqu'elle ne peut être menée de bout en bout en restant dans ce cadre scientifique et qu'elle se termine par un concept qui sort de ce cadre. La solution est-elle de choisir un cadre quelconque et à y demeurer, y compris pour le type d'explication qu'on est prêt à accepter: admettre que la cocotte explose parce que la soupape est restée bloquée ou que nous voyons une chaise dans la pièce parce qu'il y a réellement une chaise, ce qui permet de sauver le réalisme du bon sens. 
Mais cela revient à renoncer à comprendre les liens qui unissent les différents cadres conceptuels possibles. Cela est relativement facile pour des cadres dont les liens sont explicites, comme ceux qui définissent un ensemble d'objets (3 ou 7 pour une ensembles de 3 objets), mais il devient très difficile de rendre compte du cadre classique quotidien du bon sens à partir du cadre quantique où il semble que le recours aux limitations humaines ne puisse être évité. Les explications dans les deux cadres ne sont plus équivalentes. Le relativisme conceptuel est acceptable quand il dit que le sens commun des énoncés n'est pas absolu mais dépend de l'adoption d'un cadre conceptuel, mais, contrairement à Putnam, il semble difficile d'admettre que tous les cadres sont équivalents et qu'il est possible d'accepter aussi bien le réalisme du sens commun que que celui du cadre scientifique. Ils ne sont pas équivalents.


10) Le réalisme de Bonsack.
gothic.centerblog.netLe réalisme de Bonsack "essaye de donner un sens au réalisme dans un cadre idéaliste, mais les idéalistes s'arrêtent à mi-chemin, ils oublient de retrouver le réalisme." Son épistémologie réaliste (il l'affirme) n'est pas une conception métaphysique: il refuse d'adhérer a priori à un système sur la seule base de sa consistance interne et il exige que le sens des mots ou des phrases utilisés soit lié aux conditions de sa vérification (pour affirmer qu'une chose est réelle ou qu'une phrase est vraie, il faut dire ce qui distingue une chose réelle d'une chose non réelle ou une phrase vraie d'une phrase fausse)
Deux démarches sont possibles pour justifier l'existence des choses et du monde. 1) Le point de départ épistémologique est de tenter de justifier l'existence par la connaissance, c'est à dire d'expliquer comment nous sommes capables d'inférer l'existence d'entités et d'acquérir une connaissance à leur propos sur la seule base de nos flux perceptuels. Le point de vue ontologique est d'admettre l'existence du monde et du sujet dans le monde et d'essayer d'expliquer comment le monde se révèle au sujet. Mais, pour Bonsack, cela élude le problème central du réalisme, qui consiste à expliquer comment le sujet parvient à postuler l'existence, il adopte donc le point de  vue épistémologique. Ensuite, il remarque que ce qui est donné au départ peut être donné à la conscience (et les données sont alors interprétées en tant qu'objets) ou aux sens (alors elles sont ininterprétées, comme par exemple l'image optique projetée sur la rétine). Du point de vue épistémologique, il est nécessaire de considérer comme donné ce qui l'est à la conscience, car ce qui est donné aux sens n'est pas vraiment donné mais inféré au moyen d'une image du monde et du sujet dans le monde. 
La distinction entre une représentation et ce qu'elle représente (largement mise en avant par les empiristes logiques), conduit Bonsack à réfuter une objection à l'idéalisme selon laquelle celui-ci conduirait à nier l'existence de l'univers jusqu'à ce qu'il y ait des sujets capables de le penser: elle relie l'existence d'une représentation (l'idée d'univers) avec la chose qu'elle représente (l'univers). La date attribuée à la représentation est totalement indépendante de celle attribuée à la chose représentée. 
Bonsack défend un réalisme structurel similaire à celui de Poincaré ou Worrall selon lequel la structure du réseau des relations est préservé quand on passe des objets à leur représentation (un exemple serait celui d'un film dans lequel la structure temporelle des évènements est préservée sous forme de structure spatiale des images). Deux structures A et B sont  dites "isomorphes" si une correspondance biunivoque peut-être établie entre, d'une part, les éléments de A et ceux de B et, d'autre part, entre entre les relations entre éléments de A et les relations entre éléments de B, de telle sorte que la correspondance préserve les relations. La relations entre les objets et la représentation qu'on en a doit être un tel isomorphisme. La seule information sûre et fiable est ce qui est donné à la conscience et non ce qui est donné aux sens. On peut objecter que cette information n'est pas fiable par suite d'illusions, comme la perception d'une que nous voyons courbée alors qu'elle ne l'est peut-être pas. L'illusion perceptive n'est pas fausse en tant que perception, elle ne l'est que par rapport à la reconstruction du réel que nous en faisons. A partir de ce réalisme naïf on peut, soit reconstruire un schéma cohérent dans ce même cadre, soit placer le sujet dans le monde en essayant de comprendre comment il acquiert la connaissance (actions des objets sur les sens --> influx nerveux au cerveau et sont traitement). Dans ce cas, on est conduit à un idéalisme naïf qui se confine à ce qui nous est accessible, le donné conscient, en éliminant les objets externes qui n'apparaissent alors qu'à travers celui-ci. cette démarche s'arrête cependant à mi-chemin, car il reste à montrer comment on postule l'existence d'un monde externe et comment le sujet connaissant discerne les données de ce monde de celles qui ne le sont pas (rêves, hallucinations, illusions). Si tout n'est que représentation, la distinction entre objet et sa représentation, entre monde extérieur et subjectivité intérieure doivent être restaurée à l'intérieur de la représentation. 
Pour cela, Bonsack propose définit un "niveau S", celui des sensations, le niveau phénoménologique qui possède une structure permettant d'avoir des sensations plus globales des perceptions, de reconnaissance des formes, de persistance....Comme on ne peut pas relier directement les sensations entre elles (comme les variations des sensations musculaires à celles des perceptions visuelles par exemple), on peut se placer dans un espace tridimensionnel dans lequel on relie les sensations musculaires au mouvement dans l'espace. Le niveau S a besoin d'un niveau supplémentaire, "le monde O", qui est objectif, structuré dans l'espace-temps et meublé d'objets qui obéissent à des lois beaucoup simples que celles qui relient les sensations. Ce monde-O contient un sujet-O qui est objectifié en même temps que sa subjectivité. Au niveau S, il n'y a ni monde, ni causalité, ni objet, ni dedans ni dehors, donc on ne peut parler d'un monde extérieur qui serait cause des sensations du niveau S. Par contre, dans le monde-O, il existe une partie qui est extérieure au sujet-O ", causant" les sensations-O de ce sujet-O, qui peut ensuite inférer de ses sensations-O une représentation interne (le monde-O-O) du monde-O. Dans le monde-O, les objets-O ont une existence-O qui ne dépend pas du sujet-O ce qui est la définition du réalisme. 
Réponses de Bonsack aux objections. 1) Ce n'est qu'une forme d'idéalisme car le monde-O n'est qu'une représentation: C'est en partie vrai et en partie faux, car car en voulant rendre compte de la manière dont le sujet construit son image de la réalité, on n'aboutit qu'à la notion de connaissance de la réalité et non à la réalité elle-même et les idéalistes s'arrêtent en chemin en oubliant de retrouver le réel. Dans cette conception, on rend déjà compte de la différence entre l'apparence et la réalité, le monde-O est différent de la représentation monde-O-O que le sujet s'en fait. 2) Objections des réalistes: Le monde-O semble être sa propre mesure et dépend de chaque sujet (c'est contraire au monde réel externe et identique pour tous les sujets), et d'autre part, on aimerait que le monde-O soit la représentation de quelque chose qu'il représenteBonsack répond que le monde-O n'est pas sa propre mesure, il doit être corrigé pour tenir compte des écarts de prédiction (les sensations-O, sensations-S objectivées, doivent être comparées aux sensations-O prédites dans le monde-O qui doit être modifié s'il y a des écarts pour restaurer la correspondance). Pour la deuxième objection, il postule un monde limite, le monde-Ω similaire aux mondes-O, totalement adéquat relativement aux prédictions qu'il permet et indépendant du savoir des sujets-Ω qu'il contient. Chaque sujet-Ω du monde-Ω construit pour lui-même un monde-O-Ω représentation du monde-Ω et approche le monde-Ω sans jamais l'atteindre (il reste inaccessible et n'est pas une représentation). 


11) Commentaires sur le réalisme de Bonsack.
Cette approche est séduisante et le plus extrême des réalistes ne pourra fournir qu'une représentation du monde en soi dont il prétend l'existence. Mais des remarques s'imposent.
1) Ce modèle peut-il rendre compte de l'intersubjectivité? Rien ne garantit que les mondes-Oi de chaque sujet Si se ressemblent, ce qui pousse Bonsack à à admettre des mondes-Oi modifiables pour qu'ils ne soient pas leur propre mesure. Pour rendre compte de leurs perceptions, deux sujets peuvent avoir construit des mondes-O totalement différents (même si on suppose que les deux structures perceptives sont similaires). Cela découle, ce que Bonsack semble admettre, de l'hypothèse qu'il existe une réalité externe unique qui cause les perception-S (à ne pas confondre avec les perceptions-O) de chaque sujet-S. Mais cela revient à sortir du cadre de la construction de Bonsack en supposant déjà résolu le problème qu'il cherche à résoudre et sans cette hypothèse, on ne voit pas pour quelles raisons les perceptions-S des sujets devraient avoir les mêmes structures. Et même dans ce cas, rien ne prouve que les sujets A et B aient construit des mondes-O similaires ou simplement compatibles pour en rendre compte. Bonsack ne réfute pas cette objection (car les mondes-O n'étant pas leur propre mesure doivent être modifiés, donc il ne prouve pas qu'ils doivent être similaires). On retrouve une conclusion qui ressemble à celle adoptée dans le cadre du solipsisme convivial, mais dans ce dernier, l'intersubjectivité est garantie, car car même si les résultats de mesure constatées diffèrent, il ne peut en résulter de conséquence observable pour aucun des sujets. De plus, dans ce cas, la réalité empirique de chaque sujet, bien que lui appartenant en propre (et qui est susceptible de varier), est construite à partir d'une fonction d'onde, identique pour tous, et qui joue le rôle de cause externe de similitude. Il n'existe rien de tel dans le modèle de Bonsack.
Plaçons nous dans le cas où les mondes-O des sujets sont différents. Que serait alors une remise en cause de l'intersubjectivité? Cela signifierait qu'un sujet-O (par exemple A-O) dans le monde-O du sujet A (qu'on note sujet-A-OA) est en désaccord avec le sujet-B-OA. Cela paraît impossible vu que par définition du monde-A-O, les informations que communique le sujet-B-OA au sujet-A-OA font partie des perceptions-O de A dont le monde-A-O est censé rendre compte. Mais cela présuppose que dans la notion de "rendre compte" aucun conflit n'éclate entre le sujet-O et les autres sujets objectivés dans son monde et cela revient à postuler par construction l'intersubjectivité au sein des mondes-O, mais on n'en voit pas la raison fondamentale dans ce modèle et l'intersubjectivité n'y est donc pas garantie ce qui rend le modèle de Bonsack encore plus étrange que celui du solipsisme convivial. Mais l'intersubjectivité, bien qu'elle soit usuelle dans notre environnement quotidien ou sauvegardée en mécanique quantique n'est pas vérifiée dans un cadre relativiste pour deux observateurs en mouvement.
2) Le monde-Ω introduit par Bonsack comme en genre de monde-O est tel que les prédictions qu'il autorise sont partout absolument adéquates. Il est la limite de la suite des mondes-O rectifiés pour tenir compte des écarts entre les perceptions-O perçues et les perceptions-O prédites. Il pourrait être comparé à "la Théorie du Tout" dont rêvent les physiciens. Si son existence est admise, son unicité paraît hautement hypothétique. D'autre part, la notion d'adéquation n'est pas innocente. S'il n'y a pas une réalité empirique unique mais plusieurs (comme le suggère ce qui précède dans le cadre des mondes-O), chaque sujet-S construit une suite de mondes-O qui lui est propre et qui tend vers un monde-Ω différent pour chaque sujet. Prétendre qu'il existe un unique monde-Ω ("le point de vue de Dieu" comme le dit Putnam) est une hypothèse qui n'est en rien une conséquence de la construction initiale.
On pourrait aussi concevoir le monde-Ω (mais ce n'est pas ce que dit Bonsack) comme hétérogène aux mondes-O. Il serait (en un sens à préciser) ce qui causerait les perceptions-S et chaque monde-O serait une tentative de représentation du monde-Ω. Chaque sujet-S construirait une suite de mondes-On tels que le monde-Osoit  issu du monde-On-1 pour tenir compte des écarts entre les perceptions reçues et les perceptions prédites à chaque étape n. Le monde-Ω postulé unique serait la mesure de tous les mondes-O. Les mondes-O de sujets différents ne seraient pas similaires, mais les structures des sensations-S pourraient être identiques et cela éliminerait par construction le problème de l'unicité de la limite des suites de mondes-O. Mais le monde-Ω (conçu comme hétérogène par rapport aux mondes-O) n'est plus le résultat de la construction de Bonsack, et le postuler revient à supposer le problème du réalisme résolu. 


12) Le réalisme voilé de D'Espagnat.
a) L'analyse approfondie de Bernard d'Espagnat sur la compatibilité des différentes philosophiques avec les enseignements de la physique quantique se présente comme essentiellement fondée sur les résultats scientifiques et non comme une réflexion a priori: il aboutit à ce qu'il appelle le "réalisme voilé"
Selon l'idéalisme Kantien, nos concepts sont le reflet de formes a priori de notre sensibilité; les concepts scientifiques fondamentaux devraient donc prolonger naturellement le bon sens, avec un caractère visualisable. C'était le cas au temps de Kant (avec les notions d'espace euclidien, de temps universel...), mais ça ne l'est plus aujourd'hui (avec l'espace-temps courbe, les opérateurs de projection de Heisenberg, l'abandon de la causalité...). Donc, la forme de nos descriptions scientifiques, si elle doit à la structure de notre esprit, ne lui doit pas tout. Et, puisque de de très belles théories sont parfois réfutées par l'expérience, c'est que les règles du jeu ne sont pas entièrement créées par nous et qu'il y a quelque chose d'extérieur à nous qui dit "non".  Par ailleurs, D'Espagnat refuse la priorité que l'idéalisme radical accorde à la connaissance sur l'existence (de quelqu'un ou de quelque chose, d'une entité quelconque qui connaît). Et l'accord intersubjectif est difficilement explicable si nulle référence n'est faite à des choses existant en dehors de nous. 
D'où sa proposition d'un postulat qu'il appelle "le réalisme ouvert". Il est minimal, car il est un point de départ qui implique une analyse plus approfondie: il y a quelque chose (l'ensemble de tous les objets, de tous les atomes, de tous les évènements, des idées platoniciennes, Dieu?) dont l'existence ne procède pas de l'existence de l'esprit humain. C'est la seule concession à partir de laquelle à partir de laquelle D'Espagnat construit sa position de manière quasi-déductive en utilisant les résultats de la physique quantique, sans rien postuler sur la nature et les propriétés de ce quelque chose. 

Que peut en dire la physique quantique? Est-il intelligible? Dispose-on ou peut-on penser qu'on disposera d'une théorie ontologiquement interprétable et scientifiquement établie? S'il répond négativement à cette question  (ces théories ne peuvent prétendre qu'à un statut de description empirique), cela ne signifie pas qu'à la manière de l'inconnaissabilité absolue de la chose en soi de Kant, le réel nous est totalement inaccessible, car certains de ses traits peuvent nous être révélés voir plus loin). 
Le réel est-il atomisable, éparpillé en une multitude d'éléments premiers (multitudinisme)? La réponse est non: en théorie quantique des champs, le nombre de particules n'est qu'une observable qui ne prend de valeur définie que lors d'une observation. L'existence d'une particule n'est donc pas une propriété indépendante (comme la position ou le spin). le seul élément premier dans ce formalisme est le vecteur d'état de l'espace de Fock. 
Le réel est-il immergé dans l'espace et le temps? Cette question est liée à une objection à l'idéalisme pur (la terre, les étoiles... existaient bien avant l'existence de l'homme). Kant réfute cette objection parce qu'elle élève implicitement le concept de temps au niveau du donné externe, alors que cela ne signifie que le fait que nous puissions organiser notre expérience en le décrivant de cette manière. Bien que non idéaliste, Bernard d'Espagnat penche aussi pour une non-insertion du réel  dans l'espace-temps. "Il est parfaitement concevable que "la direction dans laquelle la lune se trouve" soit reliée à la réalité sous-jacente tout aussi indirectement -via nos structures mentales - que l'est la saveur d'un fruit. Et soit par conséquent créée par nous aun même degré". En physique classique, les symboles mathématiques servent à décrire les lois générales, mais ensuite à désigner les valeurs que les grandeurs auxquelles ils réfèrent ont dans telle ou telle circonstance, alors qu'en physique quantique ils ne jouent que le premier de ces rôles. D'Espagnat se sert de cette remarque pour défendre un réalisme structurel analogue à celui que nous avons vu par exemple chez Bonsack, et aussi comme un argument en faveur d'une réalité indépendante enchevêtrée et sujette à la non-séparabilité. C'est nous qui créons la localisation des objets et donc l'espace (et aussi le temps le temps compte-tenu de la relativité).
b) le réel voilé.
Si, à l'issue de son analyse, D'Espagnat rejette l'idéalisme radical et répond positivement à la question "avons-nous besoin d'un réel?", il reconnaît des objections fortes à l'encontre du réalisme traditionnel, qui suppose une objectivité forte incompatible avec la mécanique quantique usuelle. Il admet la nécessité de "quelque chose" dont l'existence ne dépend pas de la nôtre, mais qui n'est pas totalement inconnaissable. La forme des descriptions scientifiques ne doit pas tout à la structure de notre esprit, une partie doit être interprétée comme provenant du réel. La réfutation de belles théories par l'expérience nous fournit une information, de nature négative, sur ce "quelque chose" La non-séparabilité en est une forme de connaissance et l'analyse des symboles mathématiques mentionnée précédemment, le conduisent à défendre une version du réalisme structurel de Poincaré (les lois générales reflètent les structures d'une réalité existant indépendamment de nous). En cela il se rapproche de Bonsack. Mais in s'en démarque car ce dernier parle "des objets réels que la nature nous cachera éternellement" alors que D'Espagnat, en raison de la non-séparabilité s'interdit de faire référence au pluriel ("des objets"). Le Réel n'est donc pas inconnaissable, mais il est "voilé": il n'est pas immergé dans l'espace-temps, il excède en partie les possibilités de l'intelligence humaine, mais la science nous donne à son sujet des informations limitées à certaines de ses structures générales. On doit donc distinguer deux sortes de réalités: la réalité empirique (l'objet de la physique) ou réalité des phénomènes et la réalité indépendante qui ne nous est pas totalement inconnaissable, certains traits se reflètent dans la réalité empirique, mais elle nous est en partie cachée. 
c) La causalité élargie.
D'Espagnat suppose que certains traits de la réalité indépendante (qui a une action sur les phénomènes) se reflètent dans la réalité empirique. C'est faire le postulat qu'il existe une certaine relation entre les deux types de réalité. Il appelle cette action "la causalité élargie", concept étroitement solidaire de celui de réalité indépendante. Elle s'oppose à la causalité kantienne (moyen humain d'organiser les phénomènes dans notre esprit). D'une certaine manière on peut dire que c'est la concept de causalité élargie qui permet de nommer la réalité indépendante:
* Il doit exister une cause aux régularités phénoménales.
*Cette cause réside en dehors de  phénomènes et en dehors de nous. 
*Donc cette cause doit être recherchée ailleurs et on l'appelle "réalité indépendante". 
Causalité élargie et réalité indépendante sont deux concepts indissociables. 
d) Commentaires sur le Réel voilé.
D'Espagnat ne présente pas ses conceptions comme les seules possibles, mais comme celle auxquelles il peut être cohérent d'adhérer si on accepte son postulat de initial de réalisme ouvert. Dans sa prudence, il reconnaît être incapable de réfuter des positions concurrentes comme l'idéalisme radical ou le solipsisme qui ne le satisfont pas et pour lesquelles le réalisme voilé représente un alternative possible pour ceux qui partageraient son aversion pour ces thèses. En revanche, il écarte certaines versions du réalisme (naïf, multitudinisme...), comme incompatibles avec les résultats de la physique quantique. Sa position est extrêmement solide, mais on peut ne pas s'en satisfaire si on refuse le postulat du réalisme ouvert ou si on n'éprouve pas le besoin de trouver une cause aux régularités des phénomènes, voire si on postule qu'elles  sont d'une certaine manière créées par nous. Comme le dit Bitbol, cette position n'est pertinente que pour celui qui admet le face à face entre le sujet et le monde, mais on peut penser que nous ne sommes ni face à la réalité, ni logés en son sein, mais que nous sommes associés à elle (voir la citation de Putnam en exergue au début de ce message).  
Pour d'Espagnat, à l'opposé du sens commun selon lequel on croît en la réalité des faits contingents et on doute de la possibilité de connaître les structures de base du réel, ce sont les faits contingents qui sont modelés par nous alors que les structures sont bien appréhendées par la science. La physique doit donc donner une description non de la réalité en soi, mais des phénomènes tels qu'ils apparaissent à la communauté scientifique. Il est en accord avec Bonsack et pour lui, le monde-O serait la réalité empirique, le  monde-Ω serait la réalité indépendante. Cependant cette interprétation ne semble pas la plus approprié (selon Hervé Zwirn). En effet, la réalité empirique de d'Espagnat est une, la même pour tous les observateurs, la réunion de tous les phénomènes donnés à l'ensemble des observateurs dans un cadre intersubjectif, alors que les mondes-O sont multiples, modifiables, sans garantie d'intersubjectivité. Il serait plus approprié d'assimiler le monde-Ω à la réalité empirique, les mondes-O n'étant alors que nos constructions provisoires pour tenter d'en rendre compte. 


13) Conclusion.
Certaines conceptions trop simples ont été écartées et la solidité des arguments pour les conceptions restantes ont été évaluées, mais il n'a pas été possible de trancher en faveur d'une unique position et les nombreuses possibilités restantes peuvent se prévaloir d'arguments favorables tout en restant sujettes à des objections sérieuses. le choix d'une attitude reste dépendant d'a priori qu'on ne peut trancher ni par le raisonnement, ni par l'expérience. 




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